16/12/2018

Les élections présidentielles de 2017 en France.


Vers l’élection présidentielle de 2017 en France 


Révolutions des titres et évolutions de la réalité


Interrogations : à quand la démocratie ?



Je commencerai par une très brève méditation. Comment se fait-il que les gens continuent à voter alors que la faillite de la politique instituée est aussi éclatante en ce moment même ? Hier encore, en mai 2012, il y a à peine cinq ans, le slogan de campagne et de la victoire de François Hollande a été : Le changement, c’est maintenant ! Comment se fait-il que l’on oublie aussi vite ? À ces questions, je n’ai pas de réponse. Cornelius Castoriadis nous invite même à ne pas nous demander ! Étant sûr que « au moyen et au travers de la formation (fabrication) de la matière première humaine en individu social », sont incorporés en ce dernier aussi bien les institutions elles-mêmes de la société que les « mécanismes » de leur perpétuation, il affirme : « Ne vous demandez pas : comment se fait-il que la plupart des gens, même s’ils avaient faim, ne voleraient pas ? Ne vous demandez même pas : comment se fait-il qu’ils continuent de voter pour tel ou tel parti, même après avoir été trompés de manière répétée ? »  Et pourtant, il faut se demander. Car, le conditionnement, à savoir l’assujettissement à des conditions, et la co-détermination de l’individu par les institutions de la société et ses significations imaginaires, qu’évoque Castoriadis, ne sont ni aussi forts ni aussi marqués par le temps, dans le domaine politique, où on attend justement, et on demande précisément, la rupture de la perpétuation, le fameux « changement » ! Dans d’autres directions nous devons donc orienter notre réflexion.
Quant à moi, cela fait 22 ans que j’ai écrit un texte à l’occasion de l’élection présidentielle de 1995, qui porte le long titre « Pour une abstention active aux prochaines élections présidentielles (institution avérée monarchique), inaugurale d’un projet politique original » et le sous-titre « Contre l’acte de vote pour élire une personne. Pour le droit à la décision après délibération et face à plusieurs propositions-solutions possibles ». Depuis, et même avant, je n’ai jamais douté un seul instant de la justesse de cette idée, je n’ai pas été tenté par l’idée d’aller voter, et je n’ai pas cessé de réfléchir sur le comportement de mes semblables, des gens en général et de mes ami(e)s les plus proches en particulier. Il est vrai qu’actuellement le mépris envers la politique instituée et sa dévalorisation aux yeux de la plupart des gens, sont reconnus explicitement, alors que ce n’était pas le cas auparavant. Il est vrai également que l’abstention augmente d’une élection à l’autre, quand il s’agit de toutes les élections, à l’exception néanmoins de l’élection du président de la République. La répétition, la perpétuation du même, est donc due, disons-le franchement, à l’absence d’une alternative fiable. Il se trouve que cette alternative n’est rien d’autre que la démocratie. Et cela nous amène à clore provisoirement notre méditation en songeant à la difficulté de la chose. C’est cet absurde « Au nom du peuple » que nous devons changer. En le transformant en « Les citoyens ont décidé … ». Le  « Au nom du peuple » correspond au régime représentatif établi, le « Les citoyens ont décidé … » correspond à la démocratie.
Si ce n’est pas la coercition et les sanctions, si ce n’est pas l’adhésion, le soutien, le consensus, la légitimité, la croyance, qui « imposent » le régime représentatif, c’est plutôt le manque d’imagination politique et l’absence de créativité collective qui « empêchent » l’émergence de la démocratie. Il faut surtout du courage, qui est une des vertus politiques principales, comme n’a cessé de le répéter Hannah Arendt[2]. Mon étonnement, sans déception néanmoins, est encore plus grand parce que, au fond, c’est le refus d’accepter la valeur et la faisabilité de la démocratie que je constate même chez mes ami(e)s les plus proches. L’égalité politique absolue de tous est acceptée depuis longtemps pour élire. Pourquoi refuse-t-on d’accepter la même égalité pour décider ? Les deux égalités sont de manière parfaitement égale justifiables et par là même également faisables, réalisables, applicables.      


L’objectif de ma recherche : l’état de la société française


On l’aura compris, je suis athée : je ne crois pas à la politique instituée. Mon opinion (doxa) est simple : petit est l’impact de la politique instituée sur la situation générale de la société et la vie effective des gens.[3] 

¿ De quel point de vue donc, suis-je un observateur engagé de cette politique, surtout pendant ses moments les plus importants ?

          La participation de millions de personnes à une élection, indique quelque chose – pas tout. Il y a de plus le débat qui précède les élections et l’ensemble de ce que l’on désigne par « campagne pré-électorale ».

          Le sujet continuel de ma recherche, c’est la situation de la société française. Je m’interroge, plus particulièrement et au plus près de l’actualité, sur les conséquences pour la société française des événements de 2015 et 2016, liés au totalitarisme théocratique islamique. Car je considère que ces événements sont principalement le fruit du sol social de la France d’aujourd’hui.[4] Critère subjectif, sans doute. Je pense cependant que c’est un critère crucial si on veut réfléchir à ce qui tient ensemble une société et, en des termes plus simples, à ce que l’on appelle le « vivre ensemble ».

          On ne peut pas et on ne doit pas lire ces conséquences seulement à l’aune des résultats électoraux. Cependant, ces résultats indiquent quelques orientations générales de l’« opinion publique », quelques tendances, lourdes ou légères, qui se forment, ou qui sont en train de se former, dans la société. Bref, ils nous disent quelque chose de l’état des esprits de nos contemporains.  

          Je peux utiliser l’observation à l’œil nu, les analyses des autres ou les miennes, les débats quotidiens, tout ce que vous voulez, pour lire la réalité sociale actuelle. Même les dits faits divers nous enseignent beaucoup de choses sur la société, à condition de ne pas perdre le simple bon sens dans leur analyse, comme c’est trop souvent le cas dans l’air du temps des médias et des réseaux sociaux, air qui est devenu tempête destructrice du sens ; à titre d’exemple, les violences et les « viols » policiers dernièrement, qui ont fait grand bruit. (J’y reviendrai.) Cependant, les courants souterrains de la société ne sont pas visibles, difficilement analysables par conséquent.

Reste que les élections sont un grand moment. Je ne dévalue nullement le choix des personnes d’aller voter, bien que je sois « abstentionniste » réitéré et convaincu, depuis plus de trente ans, et je lutte pour la démocratie – sans adjectif ! Modestement, je crois être un penseur politique du quotidien et, ardemment, citoyen démocratique 24 heures sur 24 et non pas une fois tous les  5 ans ! Je n’oublie absolument pas pourtant que, en ce qui concerne les élections, ce sont les chiffres absolus que nous devons lire et prendre attentivement en compte, beaucoup plus que les pourcentages qui sont devenus l’autre tempête du mensonge et des illusions. La formule journalistique et politicienne : « le peuple français a décidé ceci, le peuple français a dit cela », n’est pas la mienne. Et je récuse fortement cet esprit. Je ne me lasserai jamais de répéter que les sociétés sont devenues telles aujourd’hui – ou par ailleurs elles ont été  toujours ainsi –, dans la pluralité humaine incontournable, qu’un courant politique, ou un courant de pensée, ne peut « représenter » pas plus qu’une partie minime de la population totale, et c’est bien ainsi dans un esprit démocratique, pluraliste, de compréhension et de lecture de la société. Par exemple, les 25 % d’un résultat électoral, en France actuellement, correspondent en chiffres absolus à 9 millions de suffrages exprimés, soit 20 % du corps électoral officiel, et seulement 14 % de la population totale.[5] On peut prendre le « pouvoir » avec un tel pourcentage, mais comment peut-on prétendre qu’un tel résultat représente la société ?[6] Encore moins qu’il lit sagement et élucide la réalité ? Et pourtant, c’est « Au nom du peuple », nous dit-on.  


Première synthèse, deux mois auparavant


Je préviens le lecteur exigeant que ce qui suit n’est pas un pronostic. Les pensées éparses et mal rangées qu’il va lire, constituent un effort d’éclaircissement d’une situation qui est confuse dans sa complexité et qui devient confuse tout court par les analyses existantes. Je présenterai mes points de vue qui divergent de ces analyses, en cherchant la spécificité de cette élection et en signalant la perte de bon sens qui caractérise souvent l’interprétation des faits. Enfin, je le dis, quand bien même cela semble évident, je parle en mon nom propre et sous ma propre responsabilité, car le « Au nom du peuple » appartient aux candidats et aux « représentants ».


La spécificité de cette élection et ses éléments


J’ai commencé à écrire ce texte le 21 février 2017. Bien qu’il soit destiné à être bref, après 19 jours, je ne l’ai pas encore fini. Mis à part les insuffisances de l’auteur, cela est dû à ce que tout le monde dit, c’est-à-dire que l’on est toujours dans une période d’imprécision et d’incertitude. Mais n’est-ce pas le cas pour toute élection ? D’autres disent, l’esprit léger ou pauvre et la mémoire courte, que l’on n’était jamais en France dans une élection présidentielle aussi imprécise, incertaine. Et alors, qu’en est-il de 1981 ? Des spécificités existent pour cette élection présidentielle, mais elles sont autres.

Deux événements ont jusqu’à présent jalonné la voie vers l’élection présidentielle de 2017. Imprévisibles et inattendus aussi bien l’un que l’autre, ils pourraient laisser leurs traces sur la vie politique française pendant longtemps. Pour le meilleur et pour le pire. La perte de bon sens se présente néanmoins à presque tous les éléments qui préparent la phase finale de cette élection.

La création ex nihilo d’un nouveau « mouvement politique »

La spécificité la plus marquante de cette élection de 2017, du point de vue de la politique instituée, est la suivante : comme résultat d’un long processus[7], mais aussi de la présence d’un seul homme, indépendamment de sa propre valeur et surtout de son évolution, forcement inconnue, la marche vers cette élection a fait éclater le système des partis dits de gouvernement, c’est-à-dire le parti Les Républicains de la droite traditionnelle républicaine et le Parti socialiste, principal parti de la gauche. Du coup, même la division traditionnelle droite-gauche est embrouillée, pour ne pas dire qu’elle est devenue insignifiante.

Cet éclatement est devenu évident avant même les phases importantes de la campagne pré-électorale, par la création d’un nouveau « mouvement  politique ». Celui-ci a été baptisé En Marche !, mais les lettres manuscrites de ce logo accompagnées par un nom Emmanuel Macron, de mêmes initiales, indiquent clairement qu’un homme a pris l’initiative et qu’il veut être le chef incontestable de ce « mouvement ». À son actif, on doit reconnaître le fait qu’il a vu le kairos, le moment opportun, de la faillite presque totale des partis et de l’obsolescence du clivage droite-gauche. Dès le premier jour de l’annonce de la fondation de son « mouvement », le 6 avril 2016, Macron a parlé aussi bien des partis classiques ou traditionnels qui ne peuvent plus répondre aux exigences de la réalité que du dépassement du clivage droite-gauche par cette même réalité. Ce fait rend caduques toutes les critiques, inspirées de la théorie du complot, adressées à Macron. Ou tout au moins les critiques qui parlent d’une organisation et d’une préparation où tout est au millimètre prévu par avance. Sans ces deux éléments, c’est-à-dire le constat opportun du vide que laissent l’impuissance et le mépris de tous les partis – constat qui est avéré juste a posteriori, constat donc risqué et pas assuré d’avance –, et le constat de l’obsolescence du clivage droite-gauche – par contre ce constat a été fait depuis longtemps par d’autres, sauf que personne n’a osé le mettre en application –, sans ces deux éléments, la démarche de Macron perd tout intérêt. Même s’il est soutenu par des grands ou des puissants, connus ou inconnus ou mystérieux, même s’il a pu profiter d’une aide financière importante, par qui que ce soit, même s’il a bénéficié d’une couverture médiatique exceptionnelle et disproportionnée[8], tout cela ne pourrait avoir servi à rien sans le fondement de son initiative au bon moment sur le mépris des partis et l’obsolescence du clivage traditionnel droite-gauche[9].

On ne peut pas négliger non plus le fait incontestable que l’initiative de Macron ait rencontré dès le premier moment une adhésion considérable d’un large public notamment jeune. Cet élément factuel réfute davantage la thèse selon laquelle tout est affaire de médias dans l’ascension fulgurante du               « mouvement » En Marche ! D’autant plus que les adhérents au « mouvement », jeunes surtout, ont réalisé dès mai 2016 une « Grande Marche » vers la société française pour recenser les pensées et les attentes de la population. On ne sait pas quelles sont exactement les structures du « mouvement », son mode de fonctionnement, si par exemple il est démocratique ou pas, mais on sait une position originale de son créateur : membres du « mouvement » peuvent être des adhérents d’autres partis politiques.[10]

C’est le moment de le dire, le livre d’Emmanuel Macron, paru le            24 novembre 2016, porte pour titre Révolution, et un mot sépare la « Grande Marche » d’une autre marche ; le vocabulaire de Macron n’est ni avare ni peureux de mots révolutionnaires – sans substance ?, cela est une autre discussion.                

J’aime comparer ce que j’ai vu venir et ce que je n’ai pas vu. Je mesure donc … mon propre aveuglement. À l’occasion de la rédaction d’un texte exigeant, évoqué à la note 4, à l’horizon de l’élection présidentielle, j’ai vu venir la recomposition de la vie politique française. « Vie politique française »            – vocabulaire conventionnel, bien entendu –, cela signifie les forces et les hommes politiques. Mais, je n’ai pas imaginé l’effondrement des deux partis classiques ou traditionnels de gouvernement.

Le deuxième événement marquant c’est l’affaire Fillon, révélée après sa victoire aux primaires de la droite et du centre.

Le non-sens de la victoire et de la candidature Fillon

Sur ce que je cherche spécialement, c’est-à-dire les conséquences à court terme pour la société française des événements liés au totalitarisme théocratique islamique, j’ai cru que j’ai eu une première indication par la victoire de Fillon aux primaires de la droite et du centre : l’aile la plus droite de la droite, habillée en plus de la couleur religieuse du catholicisme – qui pourrait devenir majoritaire par le pervers système électoral seulement, bien entendu –, souhaite : une dure politique économique pour que le pays soit sauvé de la « faillite » (expression très ancienne de Fillon), une politique de pureté plutôt que conservatrice en matière de mœurs pour assurer son identité (enracinée selon Fillon dans un passé très lointain) et pour combattre ainsi durement et efficacement le totalitarisme islamique[11]. Bref, j’ai compris qu’une frange de la population, dont il restait de mesurer l’ampleur réelle aux élections proprement dites (pas aux primaires !), choisit l’affrontement en quelque sorte sur la question des djihadistes, le repli sur la dite identité nationale, et elle accepte une politique économique d’« austérité ». Il n’en est rien, car ce qui a été appelé Penelogate a tout « gâché », et on ne verra probablement pas le poids réel des idées de Fillon dans la société, ainsi que l’application de son programme intransigeant.

De graves questions se posent néanmoins sur le sujet des emplois fictifs de l’épouse et des enfants de Fillon. Et notamment celle de la perte de bon sens, qui va avec la perte de sens tout court, la fameuse insignifiance, dans les sociétés occidentales contemporaines. Tout le monde a parlé des faits. Peu de personnes ont posé la question : à qui profite le « crime », autrement dit, qui avait intérêt à révéler cette affaire concernant Fillon ? Or, personne, à ma connaissance, n’a soulevé cette question simple : comment se fait-il que cette affaire n’a pas été révélée plus tôt ? Comment se fait-il que des journaux sérieux et des journalistes chevronnés parlaient, juste quelques jours avant la révélation du scandale, de l’intégrité incontestable de l’homme politique Fillon ? On doit même ajouter que presque tous les journalistes et les analystes reconnaissaient comme un élément décisif de la large victoire de Fillon aux primaires le fait qu’il était un homme politique de la droite qui n’a jamais été accusé de corruption et mis en examen, contrairement aux deux autres principaux prétendants, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy.[12] De deux choses l’une, ou bien une partie ou la totalité de la classe politique et des journalistes, et même des juges, connaissaient ces faits et ils les cachaient soigneusement, ou bien ils sont incompétents. Dans tous les deux cas, des questions encore plus graves se posent.

Il faut insister sur l’élément important suivant. Sauf fait du pur hasard, ce qui est improbable quand même dans les affaires de ce type, la personne – ou les personnes – qui a révélé les emplois fictifs organisés par Fillon, a choisi le temps de cette révélation. Probablement, parce que cette personne ne croyait pas à la victoire de Fillon aux primaires. Il s’agit donc d’une accusation ad hoc et                ad hominem à la fois, et non pas d’une révélation inspirée par le respect des principes ; c’est contre un homme et pour servir une cause spécifique que l’on a fait ça et non pas pour défendre les principes. Car, si c’était pour le respect des principes, la personne aurait révélé les faits bien avant, ou tout le moins avant les primaires de la droite et du centre. Elle ne l’a pas fait. Donc, la révélation visait à rendre impossible l’élection de Fillon en tant que président de la République, en négligeant les conséquences que cela pourrait avoir pour cette élection et les institutions politiques en général. (Attention, je ne dis pas qu’il ne fallait pas faire la révélation, je m’interroge seulement sur ses motifs et ses visées vu le temps choisi.) Et pourquoi donc rendre impossible l’élection de Fillon comme président de la République ? En raison de son programme économique ? De sa détermination apparente ? Qui le dira ?        

La corruption des élus

On saura les conséquences réelles de l’éclatement du système des partis de gouvernement à l’issue de cette consultation importante qu’est l’élection présidentielle, à l’issue des élections législatives du mois de juin, et dans l’avenir proche. On saura, en même temps, l’impact au plan électoral de la création du « mouvement politique » En Marche !, et le sort de son fondateur. On sait pourtant, dès à présent, que l’affaire Fillon, depuis sa révélation, a imposé comme presque unique sujet du débat la corruption des élus (« élites »). Deviendra-t-il, ce sujet, le principal objet de la campagne ? De toute façon, ce sujet a gâché la fête. Petites ont été pourtant, le dimanche 19 février 2017, les manifestations à Paris et en d’autres villes de France contre la corruption des élus. Dans « le renouvellement de la vie politique », visée hautement affichée par le « mouvement » En Marche !, dont la création constitue l’une des spécificités marquantes de cette élection présidentielle, a pénétré la corruption perpétuelle des élus, cette spécificité seconde, et la complexité de la chose devient plus grande. J’ose le dire, moi l’abstentionniste, si Macron l’emporte aux élections, et à condition que celui-ci soit non corrompu, comme il paraît pour le moment, la victoire sera double : contre le système archicorrompu des deux partis et contre le système archicorrompu des Le Pen. Si, par contre, la corruption aurait été aussi l’invitée de Macron et de son « mouvement », alors ce serait le Tartare pour les bénévoles, les jeunes surtout, de En Marche !     

Soulignons ce fait très important qui est passé presque inaperçu dans la tempête qu’a provoquée l’affaire Fillon. Marine Le Pen, et son parti par excellence « anti-système », avec les « mains propres » par opposition aux mains sales des autres partis, trempe dans la corruption aussi. Chose plus grave encore, les accusations contre Marine Le Pen concernent des faits beaucoup plus graves que les faits reprochés à Fillon et à sa femme. Et on a entendu des journalistes et des analystes politiques dire qu’ils commencent à comprendre que le Front national est un parti comme tous les autres, ce que j’ai écrit depuis au moins 1995. Et j’écrivais alors aussi pourquoi les autres partis ne peuvent pas et ne veulent pas voir et reconnaître cette simple vérité : car justement s’ils l’avaient fait, ils auraient reconnu automatiquement leur vrai caractère, comme des partis hautement antidémocratiques, dont la seule chose qui les distingue du FN c’est certaines idées rejetables. Pourtant, novembre 2015, Hollande a déjà fait sienne une idée du FN, la déchéance de nationalité, erreur qui lui a coûté sa propre déchéance.

Fait davantage important, avec des conséquences incalculables : François Fillon a abandonné sa position initiale, selon laquelle il se retirerait de la compétition s’il était mis en examen, pour adopter la position suivante : seul le suffrage universel va résoudre le problème. Seul juge « le peuple », donc.[13] Après cette prise de position, plusieurs voix dans son propre camp se sont élevées pour demander que Fillon démissionne de sa candidature. En vain. Fillon a revendiqué, encore une fois, sa légitimité provenant des primaires, mais ce qui a joué le rôle décisif c’est le fait que le parti des Républicains n’avait pas une solution alternative ou il ne voulait pas en trouver. En utilisant de surcroît une légitimité orchestrée provenant d’un piètre rassemblement à Paris, place du Trocadéro, le dimanche 5 mars, dans le contexte du danger d’implosion du parti des Républicains, Fillon a pourtant « gagné » et il sera candidat même en étant mis en examen. Son élection à la présidence de la République, peu probable néanmoins, ce sera la honte pour la société française tout entière.   

Le rassemblement du dimanche 5 mars 2017, à Paris, sur la place de Trocadéro, initialement se voulait « contre le coup d’Etat des juges », pour se transformer par la suite en un rassemblement de soutien à la candidature de François Fillon. Il est étonnant que l’actuel président de la République, François Hollande, qui a renoncé à être candidat à sa succession, selon la formule consacrée, une première pour la Ve République, est intervenu pour la première fois à la campagne pré-électorale, juste après l’annonce de ce rassemblement et a déclaré depuis la Corse où il était en visite : « J’appelle à la responsabilité. Ce n’est plus acceptable. Je déplore profondément cette mise en cause insupportable de la vie démocratique dans notre pays, cette interpellation par la rue de notre démocratie fondée sur la séparation des pouvoirs. » Je souligne les grands mensonges. Quant à l’expression « par la rue », là, Monsieur le président de la République – qui ne signifie nullement démocratie mais notre régime ! – dérape complètement, mais complètement. Qui a dit que le droit de manifester dans la rue, et même d’imposer par la rue, n’est pas une conquête franchement démocratique ?

Le même président n’a rien dit pour la manifestation d’un autre dimanche, du 19 février 2017, qui avait le même sujet mais … à l’inverse. Par ailleurs, plusieurs appels ont été diffusés pour une contre-manifestation contre la corruption des élus et « pour le respect du peuple, de la justice et de la presse », le même dimanche, 5 mars 2017, place de la République à Paris, parallèlement au rassemblement en soutien à François Fillon place du Trocadéro.[14] La première édition de ce mouvement anticorruption, qui se revendique « citoyen, pacifique, déclaré non partisan, non récupéré par un parti ou une organisation, égalitaire et revendicatif », s’est tenue le 19 février. Il a ensuite décidé de se réunir tous les dimanches à 15h00. Ainsi, la « guerre civile » en France, que les spécialistes avertis de l’intégrisme islamique, tel un Kepel[15], attribuaient comme objectif à l’État islamique et craignaient tant, aura lieu pour d’autres raisons, en caricature et comme farce, pour des raisons futiles partisanes des deux partis qui dominent la vie politique française depuis des lustres.


Conclusion, la société française semble plus désorientée que jamais. Cette même société a réussi cependant à casser les partis politiques qui dominaient la vie politique depuis plus d’un demi-siècle. Mais n’exagérons pas, la situation vire vite vers la normalité. 





La normalité de cette élection et ses éléments


Revenons donc à la réalité prosaïque, à la normalité d’une élection présidentielle. 

Élections primaires

Les deux partis dits de gouvernement, Les Républicains et le Parti socialiste, ont organisé des élections dites primaires pour désigner qui de leurs personnalités éminentes sera leur candidat à l’élection présidentielle.[16] Pour le parti de la droite, c’était la première fois, pour les socialistes la cinquième (1995 Jospin, 2002 Jospin, 2007 Royal, 2012 Hollande, pour les élections présidentielles précédentes, en indiquant aussi le victorieux à chaque fois). Mais il y a eu nouveauté : les primaires pour l’élection présidentielle de 2017 ont été complètement ouvertes à tous les électeurs inscrits sur les listes électorales. Ce qui dit l’impuissance de ces partis à régler de l’intérieur les « querelles de    clans ».    

Antidémocratiques et sans substance, ces primaires se sont également avérées complètement trompeuses. Il s’agissait réellement d’un règlement de comptes entre cliques des deux partis qui s’alternent au gouvernement de 1958 à aujourd’hui. Pourquoi ? Un parti c’est un parti, il a un programme, certains disent une idéologie aussi. Un candidat aux élections présidentielles qui provient donc d’un parti, doit avoir et présenter un programme particulier, mais dans le cadre du programme général du parti. On n’a pas vu cela aux primaires. On a vu exactement le contraire, dans les deux cas. Puis, la définition floue, comme ce n’est pas possible, du corps électoral : une signature et 2 euros pour la droite, une signature à 1 euro, pour le Parti socialiste ! Le résultat ? Là on a tout et on a tout vu.[17]

Les programmes des candidats

En ce qui concerne les programmes, on doit tout d’abord dire que la critique adressée à Emmanuel Macron, suivant laquelle ce dernier n’aurait pas de programme, n’a pas de raison d’être. L’atavisme des gens est parfois surprenant, phénoménal. Un a dit : « Macron n’a pas de programme », tous répètent la même chose ! Le concerné a répondu lui-même : « J’ai un projet. » Oui, c’est ça plutôt l’élection présidentielle en France. Mais il y a un autre point aussi important sinon plus : qui a respecté son programme parmi tous ceux qui ont été élus présidents de la République française ? Entre temps, Macron a         « enfin » révélé son programme millimétré. Rien à dire sur cette affaire désormais. On constate que le projet devient énumération banale des mesurettes, ce qui est fatalement un programme pré-électoral. La séduction par la nouveauté de la démarche perd quelque chose de son charme.

Une idée « neuve » a été la proposition de Benoît Hamon pour le revenu universel. Mais, la majorité de son parti est contre cette proposition ! Voilà encore un paradoxe des primaires.[18] À part d’autres considérations au plan de la substance et de la faisabilité de cette proposition, qui existe dans le débat public en France[19] depuis au moins une vingtaine d’années, la seule solution envers le dit chômage, qui est en fait manque de travail et refus de travailler sous n’importe quelles conditions, c’est à mon sens le partage de travail. La question n’est pas « société du travail » (Valls et Macron) contre « raréfaction du travail » (Hamon), la question est ce que l’on veut faire avec le travail. Et on doit discuter : la finalité ou les finalités principales de la société, la valeur et la place du travail dans la vie réelle des gens, le contenu du travail, la démocratie dans les lieux du travail. On travaille pour consommer, et il faut donc un revenu universel pour soutenir le fameux pouvoir d’achat, ou on travaille pour une vie  libre et autonome pleine de sens, d’amitiés, d’éros, de culture, d’action, d’esprit écologique, même si elle est frugale ?                   

La réforme constitutionnelle vers la VIe République, première proposition du programme de Jean-Luc Mélenchon, ne passe pas non plus comme sujet d’un vrai débat. Un problème politique par excellence, la question du régime politique, ne fait partie des préoccupations principales ni des politiciens ni des   « citoyens ». Il faut revenir sans cesse sur ce sujet, mais j’exprime dès maintenant mes doutes sur la démocraticité des propositions de tous les candidats qui proposent l’instauration d’une VIe République.

Le débat public

On ne sait pas quels sont les sujets qui prédominent et surtout s’ils sont en correspondance avec la réalité, la situation effective du pays, et les attentes des gens, qui sont des votants, même pas électeurs. Citoyens ? Ils ne le sont pas encore ! Vont-ils le devenir ? Quand ? Comment ?

Le débat est foutu, tout au moins jusqu’à présent. On en sait la cause. Mais, c’est une cause ou un « prétexte » ? La cause immédiate, pour ainsi dire, c’est la découverte d’un scandale. Mais, au fond, se trouve l’état de la politique instituée dont fait partie inexorable le parti politique du candidat Fillon. Pourtant, même si le grand cafouillage du débat est venu de l’affaire Fillon, et de la politique instituée, la société n’a pas pu réagir efficacement pour renverser cette situation.

Pour finir cette modeste synthèse, je voudrais néanmoins mentionner une autre affaire où la perte de bon sens apparaît aussi. Cette affaire vient de la réalité triste et insupportable du terrain. Il a été appelé viol, la violence inouïe et inacceptable de l’enfoncement dans le cul d’un jeune homme des banlieues d’une matraque par un jeune policier.[20] Le viol présuppose quand même le plaisir d’organe du violeur – bien que l’homme, l’être humain, a transformé, altéré, le plaisir d’organe en plaisir de représentation. Pour le policier qui a commis cet acte abominable, on peut dire qu’il a voulu humilier à outrance le jeune homme, faire en acte ce que disent les paroles : « Je te nique », mais on ne peut parler de plaisir sexuel, sauf sado. Cette affaire est un bon exemple de désorientation du débat : au fond, il y a la situation des banlieues aucun doute là-dessus[21]. Discutons donc cette situation.

Ce que j’ai appelé la tempête du temps médiatique et réseau-social (des réseaux sociaux) donne le résultat suivant : un fait divers monte en un instant, il y a un héros et un anti-héros ou un contre-héros, et puis, à l’instant suivant, rien ! La même tempête peut cacher d’autres faits importants, l’affaire Fillon a mis au deuxième plan l’affaire Marine Le Pen et a complètement éclipsé le truquage de participation au premier tour des primaires du Parti socialiste.  

Les sondages ou les enquêtes électorales

Des points de vue du débat public et des primaires, on a tous les éléments pour juger, et constater une situation plutôt irrémédiable et irréversible. Du point de vue des pronostics (sondages pris en compte, mais pas seulement), on sait quelles possibilités s’offrent. Avec difficulté on pourrait dire que sauf les couples Le Pen-Macron ou Le Pen-Fillon, un autre couple pourra accéder au second tour. Tout est possible, nous disent-ils, et les sondages se trompent. Oui, mais l’essentiel de la vie politique française est là. On ne peut pas dire que le candidat socialiste sera au second tour, bien que l’on puisse pas exclure complètement le cas d’une candidature unique de la gauche.[22]

Ce qui me tétanise de plus, c’est la phrase suivante, journalistique puis politicienne puis très populaire : « On a gagné parce qu’on a pris tant (par exemple 5 %), alors que les sondages nous donnaient tant (par exemple 4 %). » Ou : « Dans la surprise générale, notre candidat l’a emporté malgré les    sondages. » Aussi bien la base que le critère de la « surprise » sont encore les sondages. Les raisons et les causes du résultat sont abandonnées, jetées aux orties. Les sondages en politique sont devenus une façon de raisonner et de penser. C’est ça qui est grave, beaucoup plus que les considérations sur la justesse ou non des pronostics.     

Nouveaux éléments marquants ou en évolution

Depuis que j’ai commencé à rédiger cette première synthèse, il y a         20 jours, beaucoup de nouveaux éléments se sont ajoutés sur le chemin vers l’élection présidentielle. Je me limiterai à signaler les plus marquants et ceux qui sont en évolution. Je commencerai à rédiger une deuxième synthèse le 21 mars, jour qui fixera définitivement les candidats.     

a) L’alliance de Macron avec François Bayrou. On doit évoquer que le point le plus important de cette alliance est le projet de « moralisation de la vie politique ». Quel est le contenu de l’alliance en matière de députés et surtout de composition du prochain gouvernement ? On l’ignore. Macron a déclaré à la radio RMC que Bayrou lui-même a dit qu’il ne veut pas être son Premier ministre. Reconnaissons néanmoins que, par cette « alliance » avec un leader honnête – on sait jamais – mais traditionnel, Macron a perdu un peu le blason, le charme, de la nouveauté, bien qu’il reste cohérent avec sa position d’avoir en tant que membres de En Marche !, des adhérents d’autres partis. b) Le ralliement du candidat écologiste, Yannick Jadot, à Hamon. Tous les analystes remarquent l’effacement de Hamon en raison des négociations. Hamon a perdu, semble-t-il, des points au lieu d’en gagner. c) La procédure judiciaire concernant Fillon, mais aussi Marine Le Pen et son parti. Fillon se présentera le 15 mars devant les juges et il sera peut-être mis en examen. Marine Le Pen refuse de se présenter. Affaires à suivre. d) L’éventualité d’une candidature unique de la gauche. Cette candidature paraît impossible – sauf pour le Parti communiste qui diffuse par un tract un appel à l’unité, qui cache difficilement des manœuvres électorales. L’impossibilité provient du fait que l’enjeu capital c’est le bilan du gouvernement sortant. e) Les incidents pendant les réunions des candidats. Ils se généralisent en quelque sorte ; après les protestations contre Fillon, il y a eu des protestations pendant les meetings de Macron et de Marine Le Pen. Ce n’est pas un élément qui aide à la démocratisation du débat public et à sa qualité.

Ajoutons l’appel d’insoupçonnable Daniel Cohn-Bendit en faveur de Macron, ou plutôt sa déclaration qu’il votera Macron pour des raisons pragmatiques. Entre temps, des hommes politiques de tout horizon ont déclaré leur soutien à Macron. 

Je dois parler de l’abstention. Sur les 45 millions d’inscrits aux listes électorales, voteront tout au plus 33 millions. Ne voteront pas 12 millions d’inscrits auxquels on doit ajouter les 5 millions de non-inscrits. En somme     17 millions. C’est beaucoup.[23] Et les pourcentages ne disent rien, rien ne résout cette question de démocraticité du régime politique établi, qui reste une oligarchie élective, constitutionnelle.

Enfin, l’élément qui doit désormais attirer notre attention, c’est les élections législatives qui décideront de la majorité à l’Assemblée nationale.[24]


Retour à ma question du début : l’état de la société française


          La réponse ne peut être que provisoire, et peut-être à jamais dans les ta tôn anthrôpôn pragmata (les affaires humaines, de Platon). 

La société préfère orienter le débat sur les terres classiques de la politique instituée, malgré les déclarations de Macron, terres des partis que lui-même a appelés « classiques » et « traditionnels ». Macron, qui a le mérite de contribuer à la cassure de ces partis de gouvernement, est ainsi le récupérateur de ceux qui n’avaient pas avant lui pour qui voter. Si on s’interroge sur mon sujet de prédilection, à savoir l’évolution de la décomposition de la chaîne religion-famille-éducation-travail, tous les candidats ne proposent que des mesurettes. Sur le travail, sujet capital dont dépendent en partie tous les autres chaînons de la chaîne bien reliée, Macron c’est aussi celui qui veut sauver la valeur               « travail ». Peut-être, il arrivera à diminuer un peu le chômage, mais il ne pourra d’aucune manière résoudre le grand problème de la perte de sens du travail et de la place du travail dans la société, moins encore dans la vie réelle des gens. Par là même, ni lui ni la politique instituée n’arriveront à mettre en cause le productivisme et l’une des poussées principales de la société moderne, à savoir la croissance pour la croissance.

Le changement donc que cette élection présidentielle apportera, si un changement survient, sera limité seulement au niveau de la politique instituée. Pas de « révolution » pour l’instant, malgré les titres des livres et des journaux.

Je pourrais tirer néanmoins un élément qui provient d’autres de mes observations et qui illustre peut-être une tendance historique : la société, à l’heure actuelle, ne veut pas les affrontements durs. Elle préfère le calme et l’insouciance. Elle ne se passionne pas pour la chose publique, elle est devenue athée en politique instituée, sans horizon pour autant.

Un climat de compromis, d’hypocrisie, d’évitement, de demi-mesures, de résignation, un climat de platitude. Même l’élection de Marine Le Pen paraît s’inscrire dans le courant des choses, comme quelque chose de normal, aussi contradictoire que cela puisse paraître. Et chose beaucoup plus étonnante, cette logique se présente dans des milieux de gens de la gauche ! Malgré tout cela, la défaite de Marine Le Pen paraît la chose la plus probable.

Comme je l’ai déjà dit, on a vu un journal, des plus sérieux, Le Monde, annoncer la large victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du centre avec à la une le titre La révolution conservatrice. Le livre d’Emmanuel Macron porte aussi le titre Révolution. Où est la révolution dans tout cela ? On l’a déjà dit : perte de bon sens et de sens tout court. Le sens de la démocratie reste intact.  


         nicos iliopoulos


Paris, 21 février - 12 mars 2017   

Vers l’élection présidentielle de 2017 en France

Deuxième synthèse


Note préliminaire


Je rappelle que la première synthèse avait comme titre Révolutions des titres et évolutions de la réalité, elle a été écrite entre 21 février et 12 mars 2017, et comprenait trois volets : une partie disons théorique sur la démocratie, la synthèse concernant l’élection en cours, les résultats provisoires, non pas de l’élection, mais de mon enquête sur l’état actuel de la société française.

La deuxième synthèse reprend la même forme de trilogie. Elle porte le titre général Le temps des débats et des enquêtes électorales, et couvre la période entre 12 et fin mars.

Trois événements majeurs marquent cette période. Primo, l’annonce officielle des noms des candidats. Secundo, la mise en examen de Fillon et celle    « par contumace » de Marine Le Pen. Tertio, le débat télévisé entre les cinq principaux candidats, suivi par au moins dix millions de téléspectateurs.

On ne peut pas dire avec une certitude absolue que la seule imprécision qui reste c’est le résultat du premier tour, mais presque. L’éventualité d’une candidature unique de la gauche, qui a réapparu avec un dernier appel de   Benoît Hamon, étant totalement fermée, reste l’inattendu et l’imprévu, un événement qui pourrait changer la donne, comme on dit. Mais, en politique et dans la vie, cela ne constitue pas une imprécision, c’est la fragilité inhérente aux affaires humaines[25].   


Dans cette deuxième synthèse, j’implique mes réponses à toutes les observations et les critiques qui m’ont été adressées pour la première synthèse.













Il n’y a qu’une seule démocratie, la démocratie


         Pourquoi j’écris cette tautologie bizarroïde ? Pour préciser davantage ce qu’est pour moi la démocratie et pour répondre en même temps à la question d’un de mes interlocuteurs qui se demande pourquoi j’ai écrit dans la première synthèse : démocratie sans épithètes.

Est-ce inévitable ? Ma référence est toujours Castoriadis tout d’abord. C’est lui qui a dit : « À mes yeux, il n’y a de démocratie que directe. »[26] Il a tort. Car, comme je l’ai précisé dans un texte important que j’ai écrit sur son œuvre : « La démocratie présuppose à la fois la délibération de tous les citoyens en commun, réunis en assemblée générale, la prise de toutes les décisions par tous et par toutes, le tirage au sort pour la désignation des magistrats, révocables à tout instant. La prise de décisions n’est que l’une de ces trois présuppositions, même si elle est la plus importante. C’est d’elle seule que vient l’appellation “démocratie directe”. »[27] C’est la seule qui justifierait, mais faussement, cette appellation qui a été adoptée, je ne sais pas par qui et quand, par opposition sûrement à l’expression fallacieuse et trompeuse « démocratie représentative ». (* Voir à la fin du texte.) Mais, autant que « démocratie représentative » est une contradiction dans les termes, autant et plus encore « démocratie directe » est un oxymore[28] ! Et la même chose vaut pour les tentatives, aussi sympathiques qu’elles soient, de décorer la démocratie par un adjectif, telle la tentative de Dominique Rousseau qui, lui, parle de « démocratie continue ». Les mots, surtout en politique, ont une valeur : « démocratie continue » vise à faire opposition donc au régime politique actuel qui serait une démocratie discontinue. Que cela veut dire, si ce n’est pas une absurdité, aussi bien dans les termes que dans la réalité ? Dominique Rousseau a pris à la lettre, paraît-il, cette figure rhétorique d’un autre Rousseau, de Jean-Jacques, qui consiste à dire que l’on peut être libres de façon discontinue, un seul jour, celui des élections, et puis on retourne à l’esclavage.[29] (** Voir à la fin du texte.)

Poser les bonnes questions, c’est peut-être la meilleure façon pour s’orienter dans la pensée et pour saisir la réalité. Est-ce que le débat et tout le chemin vers l’élection présidentielle de 2017 sont à la hauteur de l’état actuel de la société française ? Mais, quel est cet état ? La boucle est bouclée ? Non, on est toujours dans le cercle de la création. Et on s’interroge encore : Pourquoi alors une société tout entière ne trouve pas les moyens pour réfléchir sur son état et sortir, ne serait-ce que de façon rudimentaire, de l’état « lamentable » où, selon le sentiment général, elle se trouve ? Voilà de nouveau la question cruciale du début, actualisée. Il y a un problème. Panne d’imagination politique créatrice. Absence de démocratie.

Et au fond, selon moi, deux autres questions, même trois : Est-ce que la situation n’est pas aussi « lamentable » que l’on dit ? Est-ce que les raisons de cet état « lamentable » sont autres de ceux que l’on dit et que l’on croit ? Est-ce que les gens, face à la gravité des problèmes actuels, ne croient pas que l’on peut faire grand-chose avec les débats pré-électoraux et le vote ?   


Je reviendrai à propos de la démocratie sur la partie consacrée à l’abstention. Je dis dès maintenant que la non participation aux élections constitue l’indice le plus faible pour réfléchir sur l’« apathie politique » de nos contemporains.  



























Vers l’élection présidentielle de 2017 en France

Deuxième synthèse, un mois auparavant


Le temps des débats et des enquêtes électorales


Supervision de la première synthèse


Un survol rapide de la première synthèse nous conduirait à poser la question suivante. Lesquels des éléments spécifiques et normaux de l’élection présidentielle de 2017 sont entrés dans une phase de clarification et lesquels de ces éléments restent en suspens.

Les éléments spécifiques

Le nouveau « mouvement politique » de Macron continue son chemin avec moins de possibilités néanmoins d’atteindre son objectif hautement affiché du             « renouvellement de la vie politique ». Seul le résultat final de l’élection pourrait nous donner un indice pour comprendre les raisons de cette évolution, pour laquelle d’ailleurs je ne prétends pas avoir une opinion définitive, mais on le voit dès maintenant : face à des forces considérables qui s’opposent à un tel renouvellement, Macron n’a pas su répondre avec la rigueur suffisante. L’affaire Fillon est clarifiée, dans la mesure où Fillon est mis en examen, le 14 mars, un jour avant que prévu pour éviter les flashs des journalistes, avec des accusations plus lourdes que prévu cependant. Le 28 mars c’est son épouse qui a été mise en examen. C’est l’une des conditions de l’élection qui se clarifie davantage, en même temps, car on sait désormais de façon certaine qu’au moins l’un des candidats principaux de cette élection, et pas du moindre parti, celui des Républicains, est un candidat sous accusations graves officiellement. La question se pose pourquoi les juges n’ont pas fait la même chose en ce qui concerne l’affaire Marine Le Pen. La corruption des élus et des éligibles est désormais plus que jamais présente dans cette élection.[30] J’ajoute comme point important que Fillon n’a pas commis seulement la faute grave d’insister à sa candidature mais il a procédé, paraît-il, à des nouveaux actes illégaux après la révélation par le journal Le canard enchaîné de l’organisation des emplois fictifs. Il a produit des faux documents pour justifier ces emplois.

Les éléments normaux

Mes constats, en ce qui concerne les élections primaires, sont révélés vrais. Ces primaires ont été antidémocratiques et sans substance – programmatique, j’ajouterais maintenant, et en plus elles se sont avérées complètement trompeuses. Aujourd’hui même, 29 mars 2017, Manuel Valls, le vaincu de la primaire de la gauche, a annoncé son soutien à Macron – il votera Macron a-t-il dit, en fait –, alors que le pacte de sa participation à cette primaire l’obligeait de soutenir le vainqueur, Benoît Hamon. Comme ce dernier est le candidat officiel du Parti socialiste, la question d’une scission de ce parti dans l’avenir proche se pose. Le ralliement de Manuel Valls à Macron ne flatte pas la nouveauté du « mouvement politique » de ce dernier. Macron le sait, et il est aussitôt intervenu pour dire solennellement qu’il insiste au renouveau des visages et des usages, des pratiques et des méthodes. On le verra bien. On ne peut pas faire autrement : « En politique, il n’y a que les imbéciles pour croire les autres sur     parole. ». C’est de nouveau Castoriadis, citant … Lénine.[31]

Il n’y a pas eu de changements significatifs aux programmes des candidats sauf la mesure annoncée par Macron du service national (militaire) universel obligatoire. Autant j’ai trouvé bonne la décision de Jacques Chirac de supprimer le service militaire, autant me paraît incompréhensible cette mesure de Macron. Élargissement de sa base électorale, il vise certainement. Il ne le dit pas, bien entendu. Mais, ce qu’il dit, c’est-à-dire que dans un mois toutes les filles et tous les garçons, entre 18 et        21 ans, encadrés par les armées et la gendarmerie nationale, pourraient faire l’expérience de la mixité sociale et de la cohésion républicaine, paraît tout du moins très improbable, insuffisant, voire dérisoire.         

Après la clarification des situations/conditions de cette élection présidentielle qui concernent les candidatures définitives, avec ou sans mise en examen pour corruption, et les programmes présentés par chaque candidat, il nous reste le débat public et … les sondages. Je vais analyser, d’abord, le débat public étant donné que, pendant la période que je présente, ont eu lieu le 20 mars 2017 un premier débat télévisé entre les cinq principaux candidats, suivi par au moins 10 millions de téléspectateurs, et puis le 4 avril un deuxième débat télévisé entre la totalité des         11 candidats, débat suivi cette fois par 6 millions. Est-ce le 20 mars 2017, jour du premier débat, marque une nouvelle étape du chemin vers l’élection présidentielle ? Et quelles sont les leçons, maigres cependant, du deuxième débat ? Voyons.     


Le temps des débats ?


J’ai eu une expérience directe : j’ai écouté la moitié du premier débat sur la radio, et j’ai regardé l’autre moitié sur mon smartphone en images[32]. Mais, il est évident que je lis et je discute énormément pour saisir et écrire l’essentiel. Des opinions extrêmement diverses et éloignées se dégagent sur ce débat. Deuxième point : cela dépend de préférences de chacun, si bien que rien n’est absolu. Il nous reste le     « moyen terme ». L’« opinion publique » – toujours entre guillemets.[33] Rien de décisif de ce point de vue. 

On a par ailleurs des sondages sur tout. Les sondages ont désigné comme plus persuasif Macron. Les sondages électoraux ont montré que celui qui a gagné des points nettement est Mélenchon, au détriment de Hamon. Mélenchon était le plus gai, relaxé. Il n’a rien à perdre. Tous sont de bons orateurs plus ou moins. À mon avis, la plus mauvaise de tous a été Marine Le Pen, de tous les points de vue. Elle a parlé, dans la plupart du temps, contre tous les autres, angoissée, agaçante, et méchante. Sa virginité anti-système est lourdement atteinte. Fillon, comme le veut la logique, a été le plus pertinent en tant que bon connaisseur des dossiers. Mais, lui aussi est disqualifié maintenant. La meilleure réplique, à mon avis toujours, a été de Macron contre Marine Le Pen.

Les 10 millions de téléspectateurs nous disent quelque chose. L’intérêt relatif que les gens portent à cette élection. Ils représentent néanmoins le un cinquième, au plus le un quatrième, du corps électoral.

On parle ici la langue de bois des sociologues et des politologues. Offre et demande. C’est vrai, un marché est devenue la politique instituée avec ses marchandises. Que dois-je choisir ? Qui parmi les candidats est le moins cher, qui me coûtera moins cher ? Littéralement. Même pas métaphoriquement. On verra les choix des « consommateurs » la soirée du premier tour, le 23 avril 2017. Point. 

C’est vrai et je l’ai dit dès le premier instant. J’ai mes propres critères pour juger l’élection et les chemins qui y mènent : l’état de la société française. Le débat et tous les débats, reflets des choses vues presque uniquement du point de vue de la politique instituée, comme déjà dit, ne sont pas à la hauteur. Point encore.

Posons, néanmoins, une question simple, la seule essentielle. À présent, la vie quotidienne des gens contient le fameux « pouvoir d’achat », l’éducation, la santé, la sécurité, la qualité de l’air, l’emploi bien entendu (premier sujet de préoccupation pour cette élection, selon les sondages toujours), d’autres encore sujets. Mais, à part ces domaines auxquels tous les programmes des candidats se réfèrent et donnent des promesses, cette vie quotidienne signifie beaucoup d’autres choses qui constituent finalement son essence. Où sont-elles ces autres choses ?

Où se trouvent l’éros-sexualité, l’amitié et les relations humaines en général ? Où se trouve l’œuvre, à savoir la création culturelle et la paideia ? Où se trouve l’action, et notamment l’action collective, et individuelle, politique ? La paideia des citoyennes et des citoyens ? Ah ! Tous ces sujets font partie de la « sphère privée », à laquelle la politique ne doit pas toucher, nous répondrons les philosophes politiques avertis, et il appartient à chacun de trouver les solutions. Dans ce cas, nous ne parlons ni de la société ni de la vie réelle des gens. C’est exactement celle-là l’aliénation que la politique instituée a réussi à imposer à la politique. La politique instituée ne s’intéresse pas à la vie réelle des gens, elle ne fait pas de société. Elle fait une collection d’intérêts (économiques surtout), collectifs/corporatistes, fragmentés donc et contradictoires, dont la « somme algébrique » est égale à zéro[34]. L’impuissance de la politique instituée est évidente. D’où mon athéisme à l’égard de la politique instituée, déclaré dans la première synthèse, et mon opinion (doxa) selon laquelle petit est l’impact de la politique instituée sur la situation générale de la société et la vie effective des gens. C’est cela aussi l’élection présidentielle de 2017, et toute élection. Non pas à la hauteur de la société, mais terre à terre pour le pain-téléphone portable et le spectacle. Point final. Pourquoi accuser donc ceux qui n’y participent pas ?               

On arrive à un élément de la normalité inexorable de toute élection, les sondages et les enquêtes électorales.        


Les temps des sondages et des enquêtes électorales


On ne peut pas imaginer une élection sans pronostics. Cela fait partie du décor électoral depuis une certaine période. Et j’ai écrit en quelques mots la critique essentielle que l’on pourrait adresser à la fonction des sondages plus qu’à leur fiabilité  – en fin de compte, chacun peut se tromper à ses estimations. C’est que l’on raisonne uniquement à partir des sondages.

À l’heure où l’on parle, et selon tous les sondages que l’on peut consulter humainement parlant, quatre seulement parmi les candidats pourraient accéder au second tour : Fillon, Marine Le Pen, Macron, Mélenchon. Les deux d’entre eux, Le Pen et Macron présentent une légère avance. Je ne me risque pour le moment à aucune autre prévision. Cela paraît bizarre, mais dans tous les cas de figure possibles, on est plus sûrs que Le Pen ne sera pas élue à la présidence de la République.          

Il y a eu à ma connaissance une enquête électorale, qui se distingue de sondages surtout par l’ampleur de l’échantillon. C’est l’enquête réalisée par le CEVIPOF, qui fait partie du sérieux Institut d’études politiques de Paris. Je ne l’ai pas revue depuis. Elle concernait 15 mille personnes. J’ai commenté alors : la société française coupée en deux. J’y reviendrai tout de suite.

En effet, les besoins de la précision exigent de regarder de plus près. On peut recourir donc au site : SciencesPo CEVIPOF L’enquête électorale française : comprendre 2017.[35] Nous lisons sur ce site une nouvelle enquête, réalisée au début du mois d’avril, auprès 25 mille personnes. En ce qui concerne les intentions de vote, cette enquête allant de la gauche vers la droite donne : Nathalie Arthaud 1, Philippe Poutou 1, Jean-Luc Mélenchon 15, Benoît Hamon 10. Je m’arrête ici pour faire l’adition hypothétique en ce qui concerne la gauche : 27 %. Par la suite, Emmanuel Macron 25. Disons que c’est le « centre ». Ensuite, Jean Lassale 1, François Fillon 17,5, Nicolas Dupont-Aignan 4. Deuxième arrêt pour la droite : 22,5 %. Enfin, l’extrême droite, Marine Le Pen 25, Jacques Cheminade < 0,5, François Asselineau 0,5. La somme : 26 %.

Avant de venir à une conclusion conventionnelle, précisons que cette enquête prévoit une participation électorale faible de 66 %, au premier tour de l’élection présidentielle. J’aime toujours de voir les choses dans leur globalité. C’est la façon la plus sereine, pour ainsi dire, et la plus objective, face aux sirènes de tous les dangers. Sans nullement oublier qu’il s’agit d’une prévision, on pourrait dire que le plus grand pourcentage revient … à l’abstention. Mais celle-ci, selon la politique instituée, n’a pas de couleur, et les absents ont toujours tort. L’enquête préserve la distinction entre droite et gauche. En la suivant dans cette logique, qui est par ailleurs la logique de tous ceux qui participent à la politique instituée et aux élections, en ajoutant toutes les nuances possibles, on pourrait dire que c’est la gauche qui a la majorité relative au pays, avec le 27 % des intentions de vote. C’est cette même gauche qui parle ce dernier temps du danger de l’extrême droite et du fascisme qui vient. La droite traditionnelle, dite républicaine, est quatrième avec 22,5 %. Je ne sais pas pourquoi les enquêteurs du CEVIPOF ont mis les deux derniers candidats à l’extrême droite de l’échiquier politique, mais supposons que c’est comme ça. L’extrême droite est donc deuxième avec 26 %. Où mettre Macron ? Quelle étiquette lui donner ? La question à elle seule témoigne de la nouveauté de la chose. Ils ont beau parler d’ovni politique ou de programme flou, on ne peut pas nier la nouveauté du « mouvement politique » En Marche ! Si on laisse ce « mouvement », métaphoriquement parlant, au centre, sans étiquette, ou on le nomme non-inscrit comme on dit pour certains députés, alors la globalisation des intentions de vote donne : gauche 27 %, extrême droite 26 %, Macron 25 %, droite 22,5 %. On a tout dit pour Macron, personne à ma connaissance n’a dit qu’il est de droite. Lui-même, considérant la division droite-gauche dépassée, se place au camps de progressistes par opposition aux conservateurs. Une autre globalisation est donc hypothétiquement possible, la suivante : gauche+Macron 52 %, extrême droite 26 %, droite 22,5 %. Par cette globalisation, hypothétique et donc arbitraire, il est clair que la droite, dans toutes ses couleurs, est minoritaire dans le pays : gauche au sens large 52 %, droite au même sens 48,5 %. (La somme donne plus de 100, car l’enquête donne 0,5 approximativement aux deux derniers candidats.)

Continuons la caricature pour caricaturer les fausses analyses alarmistes sur l’état de la société du point de vue politicien, ou plus gentiment du point de vue du rapport des forces politiques. Prenant en compte la participation électorale de 66 %, mesurée par l’enquête, soit 34 % d’abstention, que nous rendons ronde à 30 %, on peut faire l’hypothèse absurde suivante. Si on pourrait réunir, dans une salle, un échantillon de 100 personnes, totalement représentatif de la situation actuelle en ce qui concerne les intentions de vote, on aura : 30 personnes qui ne votent pas, 19 personnes qui vote à gauche, 18 personnes qui vote extrême droite, 17,5 (sic) personnes qui votent Macron, et 16 personnes qui vote à droite. Ni plus ni moins, c’est cela la situation qu’une lecture disons-le démocratique de la société pourrait donner.             


L’abstention


Voilà une vraie imprécision. L’abstention peut nous indiquer beaucoup de choses, a posteriori, mais à l’encontre des prévisions alarmistes, et des idées reçues, elle ne peut pas jouer un grand rôle au résultat final, pour la très simple raison qu’elle soit dispersée pour ainsi dire à tout le corps électoral. Ceux qui en cherchent des raisons objectives, allant de catégories socio-professionnelles aux préférences politiciennes, n’ont pas compris l’essence de sa signification : elle est critique de la politique instituée et cette critique n’est fondée sur aucun critère objectif, elle est         « subjective », et elle habite partout. Que cette critique n’ait pas des arguments suffisants pour être entendue et plus important encore qu’elle n’ait ni un horizon ni une action collective significative pour proposer/imposer une alternative fiable, voilà le drame de la société française actuelle et de toutes les sociétés européennes.     

J’ai osé quelques prévisions optimistes dans la première synthèse. Sur les        45 millions d’inscrits aux listes électorales, voteront tout au plus 33 millions, j’écrivais, soit une abstention de 26,66 %. Cela ne correspond pas aux sondages faits jusqu’à présent.

Mon trouble sur la question de l’abstention vient de l’expérience suivante. C’est l’objet d’un engagement intellectuel fort. Plus qu’une thèse de doctorat[36], c’est une préoccupation de vie. Tous les indices montraient la montée de l’abstention à toutes les élections, l’élection présidentielle, la reine, y comprise. Or, la surprise est venue par l’élection présidentielle de 2007. Pour multiples raisons, dont je ne voyais pas à ce moment l’essentielle, évidente pourtant, la participation à cette élection a détruit toutes mes estimations. La raison essentielle évidente a été le traumatisme de la société française par l’expérience de l’élection de 2002. Encore une fois, la position de Le Pen n’est pas due à l’abstention. Le 18 % de Chirac et le 16 % de Jospin – président en exercice le premier et Premier ministre en exercice aussi le second –, ne proviennent pas de l’abstention quand même. En gauche, il y a eu des divisions, mais celles-ci non plus ne pourraient pas justifier un « score » aussi faible pour le Premier ministre le plus réussi de la France depuis que je vis à Paris (1986), comme le très faible résultat de Chirac ne correspond pas à un président sortant détesté. Il reste la désapprobation, la dévalorisation, de la politique instituée, et du personnel politique en offre, et l’idée des gens qu’ils peuvent l’exprimer par le vote en faveur des petits partis. D’ailleurs le       « score » de Jean-Marie Le Pen a été ridicule aussi, et seul le choc, le « séisme » comme a été appelé, de le voir qualifié au second tour au détriment de Jospin, et d’autres candidats, est resté comme essentiel, et comme traumatisme. Quelques centimètres séparaient les deux candidats, autrement dit Jospin pourrait passer au second tour, et tout le monde aurait fait comme si rien ne s’est passé. Le résultat du second tour a montré de façon plus qu’éclatante les limites du Front national.

Des journalistes parmi les plus perspicaces ont alors observé pertinemment que ces limites, une fois devenues évidentes, marqueraient la fin de la montée de ce parti de l’extrême droite selon l’expression consacrée. La réalité s’est montrée différente, mais ce n’est pas le moment d’analyser les raisons les plus profondes de cette réalité. Contentons-nous à dire que, sans oublier la dite dédiabolisation du FN et la personnalité de Marine Le Pen, le facteur le plus important reste cependant l’impuissance des partis de gouvernement de résoudre certains problèmes aigus de la société française – non pas l’abstention aux élections tous les cinq ans. Si Marine Le Pen obtient un 25 %, et indépendamment de sa position, première, deuxième ou troisième, cela en aucune façon ne peut pas être interprété comme un résultat de l’abstention. Arrêtons de lire la réalité à l’inverse. Avec un autre quinquennat de François Hollande le résultat de Le Pen serait autre. C’est l’évidence même. La même chose vaut pour le quinquennat de Nicolas Sarkozy qui l’a précédé.  

L’abstention peut nous indiquer beaucoup de choses, j’ai écrit au début. Son ampleur à une élection considérée aussi importante, pour plusieurs raisons, c’est pour moi la mesure, si mesure il y a, de l’ampleur de la dévalorisation et du mépris des partis et des hommes politiques, de la politique instituée dans son ensemble, dévalorisation et mépris compensés en partie par l’initiative de Macron, comme j’ai écrit dans la première synthèse. Imaginons un seul instant – c’est absurde je le sais – quel aura été l’« offre » politique, électorale plutôt, sans Macron. Ce mépris est pour l’instant sans horizon et sans persuasion en faveur d’une alternative fiable, qu’est la démocratie. Mais jusqu’à quand ?   

                 




Retour à ma question initiale : l’état de la société française


L’état du pays – comme on dit en langue de bois, au lieu de dire l’état de la société – est donné du point de vue de la politique instituée par le titre de la première page du journal Le Monde, daté du 11 avril 2017 : Les incertitudes sans précédent d’un scrutin.[37] Il s’agit du titre le plus imbécile, dans sa banalité, que ce journal a affiché depuis que je suis à Paris. Si vous ne me croyez pas, mettez sur internet le terme « incertitudes » et vous allez constater que tous les scrutins ont été dans l’incertitude. Point supplémentaire d’imbécillité, le journal couvre presque la moitié de la une avec les photos de quatre candidats qui sont considérés désormais comme favoris pour passer au second tour. Et, pour sauver l’« objectivité », l’ordre des photos évite tout autre critère (comme l’ordre alphabétique ou l’ordre selon les sondages) et suit l’ordre traditionnel et hyperconvientionnel de l’échiquier politique : à gauche Mélenchon, au centre-gauche Macron, à droite Fillon et à l’extrême droite Marine Le Pen. L’imbécillité et le ridicule à leur comble.

Le critère absolu d’un tel titre ce sont les sondages, ne nous trompons pas. Et on voit encore une fois qu’ils sont devenus la raison d’être de la politique instituée. Au point que la seule incertitude reste celle que les analystes ont dans leurs têtes, ne voyant pas que ces mêmes sondages ont résolu plusieurs problèmes et ont apporté beaucoup de certitudes.  

Examinons donc tout d’abord les sondages. Première, et suprême, certitude, selon toujours les sondages qui apportent l’incertitude selon leurs sages interprètes : Marine Le Pen ne sera pas élue présidente de la République française. Deuxième certitude : le candidat officiel du parti au pouvoir, c’est-à-dire du Parti socialiste, ne sera même pas au second tour. Une première pour toutes les élections présidentielles depuis 1981 à l’exception de celle de 2002. Troisième certitude aussi, sinon plus, importante que la deuxième : le candidat officiel du parti Les Républicains, qui est mis en examen pour une affaire de corruption très grave, encore une première pour l’élection présidentielle française, risque de ne pas être lui non plus au second tour, et chose plus importante encore il a pourri toute l’élection présidentielle, et a provoqué  « les incertitudes sans précédent d’un scrutin ». Il est vrai, concédons cela, que ce pourrissement n’est pas venu de sondages, il se lit pourtant dans les sondages. Si, contre toute attente, Fillon sera élu président de la République, vraie incertitude ?, la certitude reste, comme je l’ai écrit dans la première synthèse, que ce sera la honte pour la société française tout entière. J’ajoute maintenant que Fillon sera sans aucune autorité – morale et politique – pour appliquer son fameux programme. Après la honte la tragédie, non pas pour la famille de Fillon et sa famille politique, mais pour le         « pays ». Sonne encore aux oreilles l’argument du pardon, argument apolitique au suprême degré, que Fillon a employé à son dernier meeting du dimanche 9 avril à   Paris : « Je ne vous demande pas de m’aimer. Je vous demande de me soutenir, parce qu’il y va de l’intérêt de la France. »       

  Conséquence de la deuxième et de la troisième certitude, c’est que les deux partis dits de gouvernement, indépendamment du résultat final, sont déjà aux yeux des gens dans le mépris total, totalisant les deux ensemble, selon toujours les sondages, pas plus que 27 %-30 % des intentions de vote. Si cela n’est pas l’hyperceritude sans précédent de ce scrutin, je ne sais pas où est la certitude.

Si j’étais complotiste, adepte de la théorie du complot, j’aurais pu dire que le titre du journal Le Monde vise à mobiliser, par « les incertitudes », les abstentionnistes. Soit dit au passage que la théorie de « quatre favoris » a été lancée hier par presque tous les médias. Mais je ne crois pas aux complots. Par contre, c’est très claire à mes yeux la raison de cet « aveuglement » ; les analystes instituées, intégrés à la politique instituée, veulent cacher les certitudes essentielles de cette élection par les incertitudes que détectent les sondages. Tout sondage porte par ailleurs l’incertitude.

Après avoir examiné les sondages, revenons à l’essentiel. Quelles sont les vraies incertitudes d’un scrutin ? De ce scrutin du 23 avril et du 7 mai 2017 ? Mais, ces incertitudes, les vraies incertitudes, commencent après le scrutin. Quelle sera la fiabilité de celui parmi les candidats qui sera élu président eu égard au respect de son programme et à la tenue de ses promesses ? Au moins, ceux qui croient encore à la politique instituée doivent se poser ces questions. Quelle sera la capacité et la possibilité du fraîchement élu de changer tant soit peu les choses ? Pour le meilleur et pour le pire, les incertitudes de ce scrutin ne sont pas sans précédent.

L’état de la société française, ce sera pour plus tard. Ce scrutin ne l’a pas réellement touché, semble-t-il.



                                                                            nicos iliopoulos




Paris, 28 mars - 12 avril 2017

   



















* Ajout, 10-11 juin 2017


Le terme de démocratie représentative

On apprend par Pierre Rosanvallon que « le terme de démocratie représentative [a été] forgé dès les années 1770 » ; et en note : « L’expression apparaît pour la première fois sous la plume de Hamilton (dans une lettre au gouverneur Morris du 19 mai 1777, reproduite dans The Papers of Alexander Hamilton, vol. I, 1768-1778, New York, Columbia University Press, 1961, p. 255). » Le peuple introuvable, p. 14.

Dans la même page, un peu plus haut, on lit : « Les difficultés de mise en forme du pouvoir démocratique sont les plus visibles. Elles dérivent du fait que le pouvoir du peuple [première phrase de Pierre Rosanvallon dans ce livre : « Démocratie, pouvoir du peuple. » p. 11, phrase répétée à l’identique deux pages après, p. 13] ne peut s’exercer de façon directe dans le monde moderne : il n’a de consistance possible que médiatisé et instrumentalisé par les procédures du gouvernement représentatif. »

Et à la fin de cette partie de son livre (INTRODUCTION Malaise dans la démocratie), Pierre Rosanvallon écrit : « L’histoire de la démocratie se développe en effet sur trois scènes parallèles. Celle de la constitution d’une société des égaux d’abord. Il s’agit là du mouvement qui conduit à mettre en scène le sujet moderne de la démocratie : l’individu électeur, c’est-à-dire le citoyen. […] La deuxième scène concerne les formes de la démocratie. L’enjeu est là d’instituer le principe de la souveraineté populaire en force opérante et agissante. L’histoire des transformations du gouvernement représentatif, à travers notamment la mise en œuvre des diverses modalités de la démocratie directe (l’institution du référendum par exemple) et de la démocratie d’opinion, en constitue la matrice. », pp. 28-29.

Le terme de démocratie directe

À l’heure actuelle, je ne sais pas encore par qui et quand a été proposée l’expression   « démocratie directe ». J’ai déjà commencé une enquête sur cette question. Une chose essentielle paraît sûre : la « démocratie directe », renvoie à la démocratie antique, et est employée, par ses détracteurs ou opposants, par opposition claire et nette au gouvernement représentatif, seul possible pour les sociétés modernes selon eux. À partir d’une certaine période, le gouvernement représentatif, prétendument démocratie moderne, a pris le nom de démocratie représentative.

Pour évoquer un seul exemple, qui peut nous amener à la source du terme « direct », il est significatif de constater la façon bizarre avec laquelle Pierre Rosanvallon utilise l’adjectif « direct ». Dans son article, riche d’enseignements, « L’histoire du mot démocratie à l’époque moderne », on lit : « La démocratie [chez Montesquieu et Rousseau] se fonde ainsi sur les deux principes d’autogouvernent et de législation directe du peuple. “ C’est une loi fondamentale de la démocratie que le peuple seul fasse les lois ”, remarque Montesquieu en une formule que ne renierait pas Jean-Jacques. L’un et l’autre s’accordent sur cette production directe de la loi par le peuple, qui conduit à repousser le principe de représentation ». Dans les deux cas, l’adjectif    « direct » est un pléonasme. La phrase : « C’est le peuple qui fait la loi », aurait suffi largement. Il y a pourtant un éclaircissement : « direct » signifie sans l’intermédiaire des représentants du peuple. Cet article de Pierre Rosanvallon a été publié dans le premier et seul numéro de la revue La pensée politique, mai 1993 ; pour le passage cité, voir pp. 12-13.   

** Ajout, 9 juillet 2017


Cf. « Rousseau avait tort à cet égard : les Anglais ne sont même pas “ libres tous les cinq ans ”. Car, le long de ces cinq ans, les prétendus choix sur lesquels les électeurs seront appelés à se prononcer auront été complètement prédéterminés par ce que les députés auront fait entre deux élections. » Cornelius Castoriadis, « Quelle démocratie ? », dans Figures du pensable, p. 157.  


   






































L’élection présidentielle de 2017 en France

Troisième synthèse, avant et après les résultats du premier tour



Note préliminaire


Je rappelle que la première synthèse avait comme titre Révolutions des titres et évolutions de la réalité. Elle a été écrite entre 21 février et 12 mars 2017, et comprenait trois volets : une partie, disons théorique, portant quelques interrogations sur la démocratie, la synthèse concernant l’élection en cours, et les résultats provisoires, non pas de l’élection bien entendu, mais de mon enquête sur l’état actuel de la société française. La deuxième synthèse, écrite entre 28 mars et 12 avril 2017, a pris la même forme de trilogie. Elle porte le titre Le temps des débats et des enquêtes électorales, et couvre la période entre 12 mars et 12 avril.

Je rédige la troisième synthèse quelques jours avant le second tour qui aura lieu le dimanche 7 mai. Pour la période du mois d’avril que couvre cette synthèse, l’événement principal est donc les résultats du premier tour de l’élection présidentielle qui a lieu le dimanche 23 avril. Ces résultats nous ont conduits à un débat télévisé inédit entre les deux finalistes, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, le 3 mai 2017. Autre fait capital de la période examinée est donc aussi ce débat suivi par seize millions de téléspectateurs.[38]


J’ai préféré donner à cette troisième synthèse le titre Début des interrogations fructueuses, afin de montrer l’orientation générale de ma réflexion. Quelque chose d’essentiel est survenu dans la vie politique française, dans la politique instituée plus précisément. Insaisissable et indéfinissable, à mon avis, pour l’instant, ce fait qui montre selon les dires de Macron que « l’on tourne clairement aujourd’hui une page de la vie politique française », n’assure pas cependant automatiquement que l’on ouvre une nouvelle page. Si une page nouvelle il y a, celle-ci est pour l’instant blanche. « Le renouvellement de la vie politique », visée hautement affichée par le « mouvement politique » En Marche !, n’a même pas encore commencé.

Il nous faut tout d’abord commencer à réfléchir sur ce qui exprime réellement le phénomène Macron, les analyses proposées jusqu’à présent ne nous satisfaisant pas. Il nous faut penser en même temps, bien entendu, quelle est la signification politique générale de l’ensemble des résultats du premier tour. Et il nous faut surtout poser les interrogations sur l’existence ou l’inexistence des conditions nécessaires afin que ce renouvellement ne soit pas seulement celui des visages et des usages, mais tant soit peu de ce que l’on pourrait appeler esprit public. Voilà certaines raisons pour lesquelles j’ai donné le titre ci-dessus à cette troisième synthèse.

Il est évident que les résultats du premier tour seront plus clairs sous la lumière de ceux du second tour. Plus important encore, les conséquences générales à court terme de l’élection présidentielle de 2017 ne seront pas connues avant la formation d’un gouvernement par Macron et par son Premier ministre ainsi que ses premières mesures, et notamment avant le résultat final des élections législatives du mois de juin et la constitution de la nouvelle Assemblée nationale.

En ce qui concerne la société française, le chemin sera long pour comprendre et élucider l’impact du résultat de l’élection présidentielle sur son état actuel. En opposition frontale avec tous ceux qui ont commencé à prédire le sort du quinquennat qui sera inauguré dans quelques jours, et qui ont allégrement sauté cinq ans pour arriver à l’échéance de 2022, et pour attribuer la victoire à Marine Le Pen, c’est l’évidence même pour celui qui exerce la pensée politique à l’égard de la société présente qu’énormément de choses se passeront et que d’une multitude de facteurs dépendra l’évolution de sa situation. Car il ne faut jamais oublier qu’il y a au moins un facteur aussi bien capital qu’imprévisible, le comportement de la population.

La façon avec laquelle ont voté 36 millions d’électeurs montre quelque chose sur l’état actuel de la société française ? Essayer de comprendre cet état, c’est la raison qui m’a incité à écrire ces synthèses sur l’élection présidentielle de cette année. Les résultats du premier tour montrent peut-être comment les gens qui ont voté voient cet état et comment ils envisagent son éventuelle modification – sa transformation radicale est déjà un gros mot. Il y a néanmoins ceux qui n’ont pas voté. Ceux-ci aussi nous disent quelque chose. Je ferai un premier effort de compréhension, tout en gardant à l’esprit l’idée selon laquelle c’est le second tour qui aura à nous apprendre davantage de choses, ainsi que sa suite, les élections législatives. Un élément incontestable est ceci : aussi peu démocratique qu’elle soit la procédure électorale, la pluralité/diversité des options choisies par les électeurs, l’abstention y comprise, indique tout au moins cette idée démocratique importante : l’état actuel de la société n’est pas vu de la même manière par ses membres, qui envisagent certainement des différentes orientations pour sa modification.         


J’ai toujours à l’esprit les deux synthèses précédentes. Je veux seulement noté que j’ai prédit quand même que seul Macron pourrait priver Le Pen de la première place et que celui-ci pourrait l’écraser dans un duel télévisé.[39] Je me suis trompé sur ce dernier point : elle « s’est suicidée politiquement »[40], face à lui et devant tout le monde.  





C’est le régime politique qui pose problème


         À quand la démocratie ? Cette question ne cesse de surgir à chaque instant de notre interrogation sur l’état actuel de la société française, principal objet de ces synthèses. Au lendemain du premier tour d’une consultation électorale majeure, on constate une nouvelle fois la faiblesse désespérante de la « représentativité » des élus par rapport à la population concernée. Cette faiblesse apparaît clairement aussi bien sur le plan de la totalité pour ainsi dire des résultats (47,5 millions inscrits, 36 millions exprimés, 11,5 millions non exprimés) que sur le plan des voix de chaque candidat (8,6 millions seulement les voix obtenues par le premier d’entre eux qui sera probablement le prochain président de la République).[41]         

Je me situe à la position de celui qui veut juger de l’intérieur, et avec les meilleures intentions possibles d’impartialité, le système politique français. Ce système est une variante de ce que j’appelle régime politique représentatif qui partout dans le monde par la seule caractéristique des élections est appelé démocratie représentative ou démocratie tout court. Je parle, et je raisonne, à partir des chiffres absolus uniquement. Les taux non seulement ne disent rien mais ils couvrent et altèrent considérablement une réalité effrayante.

Dans un pays d’environ 67 millions d’habitants, seulement 47,5 millions sont inscrits sur les listes électorales. Les autres 19,5 millions ne le sont pas. Ce sont les adolescents, les enfants, et … les bébés, dira-t-on. Mais ceux-ci ne sont guère plus que              13 millions environ. Ils restent donc sans inscription sur les listes électorales environ 6,5 millions de personnes. Passons.

Comme déjà dit, parmi 47,5 millions d’électeurs potentiels, seulement             36 millions se sont exprimés, c’est-à-dire que 11,5 millions ne se sont pas exprimés. Nous satisfaisons à dire qu’ils sont des indifférents. Ne passons pas. Devons-nous donc accepter que seulement 36 millions de personnes s’intéressent de leur sort ? Sommes-nous dans une telle société ? Peut-être. Et, la chose la plus terrifiante est la suivante : 8,6 millions d’entre eux sont supposés disposer d’un projet, plus exactement ils ont soutenu un projet, qui vise à sauver le pays.[42] J’ai lu que M. Nicolas Dupont-Aignan, qui a fait l’alliance de la honte et de l’arrangement avec le FN, s’inquiète de la santé psychique de Macron. Mais la folie c’est là, dans le système/régime politique lui-même.

On a maintenant les résultats tangibles du premier tour. Il ne s’agit pas de sondages. Il ne s’agit pas non plus de pourcentages mais de chiffres absolus. De millions de personnes se sont déplacées et ont mis un bulletin dans l’urne. Parmi les                11 candidats, les 7 derniers ont obtenu ensemble un peu plus de 5 millions des suffrages (5 446 611 pour l’exactitude). Les quatre autres candidats ont obtenu en somme 30 607 783 voix. Disons provisoirement que ces candidats représentent quatre courants de pensée, ayant chacun en gros un nombre de voix presque équivalent. En fait, Macron a obtenu 8 656 346 voix, Marine Le Pen 7 678 491 voix (978 504 moins que le premier), Fillon 7 212 995 voix (465 496 moins que la deuxième), Mélenchon  7 059 951 voix (153 044 moins que le troisième). Les différences sont relativement faibles. Parmi ces quatre candidats, les trois seront à la fin éliminés, les deux sont déjà. Et l’un seulement parmi les quatre deviendra président de la République. Et cela s’appelle démocratie !

Il est évident que le problème majeur de la gouvernance des sociétés occidentales contemporaines, c’est le caractère désespérément oligarchique de leur régime politique – une sorte d’Ancien régime. À partir de ce constat, on ne peut pas tout expliquer bien évidemment, mais on doit réfléchir.        

Employer les termes de clan, de caste, etc., pour ces oligarchies qui sont au pouvoir, n’a aucune importance. Un nombre terriblement petit de personnes, ordonnées dans une hiérarchie pyramidale stricte, prennent les décisions importantes, dans un pays (une société) de 67 millions d’habitants et de 47,5 millions d’électeurs potentiels qui sont réellement 37 millions quand ils deviennent ce qu’ils sont réellement, c’est-à-dire des simples votants. Face à une situation sociale huper riche de petites situations et hyper complexe d’opinions, de préférences, de styles de vie, et bien évidemment d’intérêts.

Et l’argument selon lequel on ne peut pas faire autrement ne tient pas du tout. On n’a pas besoin d’un seul homme providentiel hyper doué ou pas, super corrompu ou pas, on a en urgence besoin des idées collectives et des décisions prises en commun après délibération ! Pourquoi est-il impossible, même dans ce régime politique, de tenir mille débats radio-diffusés ou télé-diffusés, chaque jour pendant la campagne, entre des citoyens réunis en assemblée ? Pourquoi est-il impraticable d’apprendre par ces débats-ciyoyens la situation réelle de la société, et les propositions des intéressés eux-mêmes ? Non, on ne veut pas cela, on veut l’apathie des gens devant leurs téléviseurs écoutant les 11 sauveurs. On veut que les gens constatent qui est le  meilleur … orateur, ou dans le meilleur des cas qui est le meilleur décideur !

C’est ça le régime politique ! Ce n’est pas, finalement, les institutions et les élections, c’est l’apathie, l’aphasie, l’impensée, l’irréflexion instituées ! Et cela pose problème. Nous sommes très loin de la « démocratie [qui] est le régime de la réflexivité politique »[43]. 

C’est par excellence le problème actuel du régime politique qui est appelé démocratie représentative. J’ai décrit très brièvement certes, dans les deux premières synthèses, les exigences de la démocratie. Par les résultats tangibles du premier tour, nous constatons l’état de la « représentativité ». À supposer même que la                     « représentativité » a un sens substantiel, son « sens » numérique/arithmétique est nul.     

 Rappelant « la critique dévastatrice de la représentation faite dans les Temps modernes, à partir au moins de Rousseau », Cornelius Castoriadis écrit : « pourquoi nos philosophes politiques n’évoquent-ils jamais la métaphysique de la représentation, et pourquoi en laissent-ils dédaigneusement la réalité effective aux “ sociologues ” ? Cela est typique de la “ philosophie (ou théorie) politique ” contemporaine : l’idée, centrale, de la “ représentation ” ne connaît aucune élucidation philosophique, et les discours qu’on tient là-dessus n’ont aucun rapport à la réalité. – Quant à moi, en tant qu’homme qui se veut libre, j’accepte volontiers d’obéir aux magistrats que j’ai élus aussi longtemps qu’ils agissent légalement et qu’ils n’ont pas été révoqués dans les formes. Mais l’idée que quiconque pourrait me représenter me paraîtrait insupportablement insultante, si elle n’était pas hautement comique. »[44]

Ce texte est de 1989. Mais, Castoriadis est un « radical » et un « utopique ». Un peu plus tard, entre 1992 et 2000, un théoricien, fervent défenseur de la démocratie représentative, Pierre Rosanvallon, se revendiquant historien politique et philosophe politique, a consacré trois ouvrages, une trilogie remarquable par ailleurs, sur l’analyse de la représentation.[45]       

          À la fin de l’INTRODUCTION Malaise dans la démocratie, de son deuxième ouvrage, Le peuple introuvable, Pierre Rosanvallon décrit ainsi sa démarche :              « L’histoire de la démocratie se développe en effet sur trois scènes parallèles. Celle de la constitution d’une société des égaux d’abord. Il s’agit là du mouvement qui conduit à mettre en scène le sujet moderne de la démocratie : l’individu électeur, c’est-à-dire le citoyen. C’est un mouvement qui consiste à la fois en un travail d’inclusion pour constituer à travers la citoyenneté une appartenance commune et dans l’expression d’un principe d’autonomie à travers la reconnaissance de l’avènement de l’individu maître de lui-même. La deuxième scène concerne les formes de la démocratie. L’enjeu est là d’instituer le principe de la souveraineté populaire en force opérante et agissante. L’histoire des transformations du gouvernement représentatif, à travers notamment la mise en œuvre des diverses modalités de la démocratie directe (l’institution du référendum par exemple) et de la démocratie d’opinion, en constitue la matrice. C’est seulement la troisième dimension, celle de la mise en forme politique du social, que nous traitons ici. », pp. 28-29. Et en note : « La première dimension a été traitée dans un précédent ouvrage, Le Sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992. La deuxième fera l’objet d’un prochain travail consacré à l’histoire de la souveraineté du peuple. »

          L’auteur lui-même constante, dès l’introduction de ce prochain travail, une       « imprécision proprement intellectuelle de la définition de cette démocratie » et une    « ambiguïté fondatrice des régimes politiques modernes » (La démocratie inachevée, p. 14 et p. 15). Ce qui me conduit à penser que les conclusions à tirer de cette trilogie sont les suivantes. Primo. Le sacre du citoyen, est finalement le sacre de l’électeur. Secundo. Démocratie, pouvoir du peuple, est finalement pouvoir d’un peuple introuvable. (Première phrase de Pierre Rosanvallon dans le livre Le peuple introuvable : « Démocratie, pouvoir du peuple. », p. 11, phrase répétée à l’identique deux pages après, p. 13.[46]) Ce pouvoir du peuple « ne peut s’exercer de façon directe dans le monde moderne[47] : il n’a de consistance possible que médiatisé et instrumentalisé par les procédures du gouvernement représentatif. », (ibid., p. 14). Troisième conclusion. Par conséquent, et selon l’expérience historique, la démocratie inachevée est inachevable ; la « démocratie représentative » n’est pas la démocratie, car même la représentation du peuple (ou de la Nation) que prétend assurer ce régime n’existe nullement.   


J’aurai l’occasion de revenir plus longuement à la question de la démocratie qui devient l’une des questions les plus cruciales au regard des résultats du premier tour. Ces résultats détermineront ceux du second tour et au-delà.  

En ce qui concerne l’actualité des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, je me contente à une dernière remarque, à partir de ces considérations de Pierre Rosanvallon : « Dans la démocratie, le peuple n’a plus de forme : il perd toute densité corporelle et devient positivement nombre, c’est-à-dire force composée d’égaux, d’individualités purement équivalentes sous le règne de la loi. C’est ce qu’exprime à sa façon radicale le suffrage universel : il marque l’avènement d’un ordre sériel. La société n’est plus composée que de voix identiques, totalement substituables, réduites dans le moment fondateur du vote à des unités de compte qui s’amassent dans l’urne : elle devient un pur fait arithmétique. » Le peuple introuvable, p. 18, souligné dans l’original.

Purs faits arithmétiques, chiffres impitoyables :

Macron :                   8 656 346 voix

Marine Le Pen :        7 678 491 voix

Fillon :                      7 212 995 voix

Mélenchon :              7 059 951 voix  

7 autres candidats :   5 446 611 voix.


47,5 millions inscrits

36 millions exprimés

11,5 millions non exprimés

8,6 millions seulement sont les voix obtenues par le premier des candidats qui sera probablement le prochain président de la République.


Lisez, relisez, maintenant les considérations de Rosanvallon.

Au départ, « force composée d’égaux, d’individualités purement équivalentes sous le règne de la loi », le « peuple » après le vote devient amorphe, pire il n’est rien ; et la « société », « composée de voix identiques », transforme l’urne en chapeau de prestidigitateur pour faire sortir la plus pure synthèse d’inégalité en nombre et, par conséquent, de non représentativité en substance. De toute façon, la représentativité a été toujours nulle, en principe, par définition.           





Début des interrogations fructueuses


Le temps des « certitudes »


On peut commencer maintenant dans l’aise la plus totale nos considérations. L’aise consistant en la levée des fameuses « incertitudes sans précédent d’un scrutin », incertitudes dont la banalité, voire l’imbécillité, j’ai expliqué dans la dernière section de la deuxième synthèse. Dans cette section, j’énonçais avant même le premier tour les certitudes suivantes, qui sont désormais scellées par les résultats. Première et suprême certitude : Marine Le Pen ne sera pas élue présidente de la République française. Deuxième certitude : le candidat officiel du parti au pouvoir, c’est-à-dire du Parti socialiste, n’est pas au second tour. Troisième certitude aussi importante, sinon plus,  que la deuxième : le candidat officiel du parti Les Républicains n’est pas lui non plus au second tour. Conséquence de la deuxième et de la troisième certitude, c’est la certitude que les deux partis dits de gouvernement sont aux yeux des gens dans le mépris total, totalisant les deux ensemble 25,68 % des votants  – 19,98 % des inscrits et 26,37 % des suffrages exprimés[48].

Sur la base de ces certitudes, j’écrivais : « revenons à l’essentiel. Quelles sont les vraies incertitudes d’un scrutin ? De ce scrutin du 23 avril et du 7 mai 2017 ? Mais, ces incertitudes, les vraies incertitudes, commencent après le scrutin. […] Pour le meilleur et pour le pire, les incertitudes de ce scrutin ne sont pas sans précédent. L’état de la société française, ce sera pour plus tard. Ce scrutin ne l’a pas réellement touché, semble-t-il. »


La victoire d’Emmanuel Macron

Bien sûr, dans toutes ces conditions décrites auparavant, la victoire d’Emmanuel Macron est salvatrice. Elle nous sauve de la honte. Elle nous évite d’entendre pendant cinq ans que le premier parti de France c’est le Front national. (Élections européennes 2014 : Marine Le Pen obtient 25 % et la première place, avec une participation de 40 %. Cela ne représente que le 10 % des inscrits. Sur le mur d’un bâtiment délabré d’un quartier pauvre de Paris – quartier populaire : cela n’existe plus ; autre histoire celle-là –, je voyais pendant des années une affiche jaunie et, sur fond de visage de Marine Le Pen, la phrase : Front national premier parti de France. Avec 10 %, le FN aurait pu dire la même chose parce que le deuxième parti aurait       9 %. Nous sommes 10 sur 100, mais nous avons gagné. Avez-vous dit quelque chose de la folie humaine ?) Il nous a sauvé Macron de quoi encore ? Mais, de deux partis de gouvernement et de leurs alternances, dans la platitude la plus totale d’idées, de cerveaux et de politique concrète.

          En ce qui concerne les alternances au pouvoir de la droite et de la gauche, je voudrais ajouter ce qui suit. Basée sur la division droite-gauche, prétendue réelle, l’alternance signifie que des forces politiques différentes se succèdent au pouvoir, plus précisément à la présidence de la République et/ou au gouvernement. Prenons une idée de ces alternances, sur le seul plan chronologique qui n’est pas le plus important, depuis l’instauration de la Ve République en 1958. Presque 59 ans nous séparent de cette date. Pas d’alternance en France durant les 23 premières années. C’est la droite qui est au pouvoir. La première alternance survient en 1981, avec l’élection de François Mitterrand comme Président de la République. C’est la gauche au pouvoir. De cette alternance notoire et jusqu’à aujourd’hui, on compte 36 ans. Pendant cette période, la droite et la gauche ont alterné au pouvoir, selon toutes les formes possibles, les quatre suivantes : président de la République de gauche et gouvernement de gauche, président de la République de droite et gouvernement de droite, président de gauche et gouvernement de droite, président de droite et gouvernement de gauche – les deux dernières formes ont été appelées cohabitation. En nombre d’années, la gauche a été à la présidence de la République 19 ans et la droite 17 ans (Mitterrand 14 ans, Hollande 5 ans ; Chirac 12 ans, Sarkozy 5 ans). La gauche a été au gouvernement  19,5 ans et la droite 16,5 ans. En cohabitation, un gouvernement de la gauche a été durant 5 ans, et deux gouvernements de la droite pendant un peu plus de 4 ans. En somme, depuis 1981, pour la gauche et la droite, ce n’est pas l’égalité parfaite en durée d’exercice du pouvoir, mais presque.[49]

Et en ce qui concerne maintenant la platitude la plus totale d’idées, de cerveaux et de politique concrète des deux partis de gouvernement, le parti de la droite qui a changé de nom depuis 1981 deux fois et le Parti socialiste, je reprends pour la compléter la note 7 de la page 4 de ma première synthèse. J’écrivais, dans cette note, que déjà en 1990 Cornelius Castoriadis parlait de l’« électroencéphalogramme plat » de tous les partis politiques en France. En fait, cette remarque de Castoriadis constitue une réponse à Marcel Gauchet. Ce dernier, également en 1990, écrivait dans un article important : « Singulier moment. La démocratie triomphe, donc. Mais dans le temps même où elle s’installe dans l’incontestable, on la découvre en proie à un profond malaise. Elle se voit frappée par un mouvement de désertion civique que l’abstention électorale et le rejet du personnel politique en place sont loin de suffire à mesurer. La mythologie révolutionnaire s’effondre. Les charmes de la radicalité s’évanouissent. L’on eût pu croire qu’à la faveur de cette modération retrouvée l’imagination réformiste allait s’enflammer. Au lieu de quoi l’on assiste à l’implosion des facultés les plus élémentaires de critique et de proposition dont la marche à l’électroencéphalogramme plat du parti au pouvoir, réduit à des agitations animales, fournit une illustration saisissante. »[50] À quoi Castoriadis répondait : « Dans un récent numéro du Débat, Marcel Gauchet, faisant une sorte de revue de l’état de l’humanité en général et de la France en particulier en 1990, parle excellemment de                     l’“ électroencéphalogramme plat du parti au pouvoir ”, c’est-à-dire du parti socialiste. Formule très juste, mais pourquoi la limiter au parti au pouvoir ? ».[51] Vingt-sept ans sont passés depuis ; on apprend que même un ancien Premier secrétaire du Parti socialiste (1994-1995), Henri Emmanuelli, jugeant l’état de ce parti avait dit que celui-ci se trouve « dans un coma profond ».[52]      

Le constat qui a conduit au résultat de 2017, a été fait par certains dès 1960. Par d’autres en 1990. Après 57 et 27 ans respectivement, ce constat – disons-le modérément – d’incapacité des hommes politiques, a été partagé par une grande partie des électeurs et va conduire peut-être à un changement considérable du personnel politique. La question est : pourquoi un changement profond du régime politique n’est pas possible ? Parce que le manque d’imagination politique des politiciens rencontre l’absence de créativité collective ; seule la mise en cause du régime politique, qui en est leur source, pourrait contribuait à l’émergence de la démocratie.


Une lecture d’arithmétique « politique »

des résultats du premier tour


Je prendrai comme base de mon analyse les votants.

Remarque préliminaire. Étant donné que les bulletins blancs sont de 1,78 % (sur les votants toujours), un taux supérieur donc des taux de chaque parmi les 5 derniers candidats. Étant donné que ces candidats ont pris en somme 3,91 % et que, s’ils sont   « divisés » en droite et en gauche[53], ils obtiennent Lassalle+Asselineau+Cheminade : 2,23 % et Poutou+Arthaud : 1,68 %, ils se neutralisent donc, je ne les prends pas en considération dans cette lecture « politique », ne serait-ce qu’arithmétique pour l’instant, des résultats du premier tour.[54]   


Macron : 23,39 %. Gauche en général : Mélenchon 19,07 %+Hamon 6,19 % : 25,26 %. Droite en général : Fillon 19,49 %+Dupont-Aignan 4,58 % : 24,07 %.       Le Pen : 20,75 %. 

Donc :

Courant gauche :  25,26 %.

Courant droite :    24,07 %.

Courant Macron : 23,39 %.

Courant Le Pen :  20,75 %.


Courant Macron+gauche : 48,65 %.

Courant Le Pen+droite :    44,82 %.


La lecture ci-dessus se fait du point de vue traditionnel, pour ainsi dire, en conservant le clivage droite-gauche. C’est pour montrer le « rapport de forces », comme on dit en langue politicienne, tel qu’il a été enregistré au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Je sais qu’il y aura des objections au regroupement de Macron avec la gauche et de Le Pen avec la droite. Il reste que, malgré tout et surtout après le quinquennat Hollande considéré majoritairement comme calamiteux, le courant gauche est majoritaire relativement. Ce qui montre quelque chose. On pourrait dire que la situation économique du pays, et la « question sociale », ont été d’apparence la première préoccupation des politiciens et des électeurs, mais en fait la balance a penché du côté de la gauche considérée comme meilleur gestionnaire de la question du « terrorisme », dont le vrai nom est pour moi totalitarisme islamiste. D’un autre côté, toutes les couleurs et toutes les appartenances ont été attribuées à Macron, qui se positionnait lui-même comme « ni de droite ni de gauche ».


Mais la division « politique » effective de cette élection, est semble-t-il la division entre courants hors des partis de gouvernement et courants des partis de gouvernement.

Macron :        23,39 %.

Le Pen :         20,75 %.

Mélenchon :  19,07 %.

En somme : Courants hors des partis de gouvernement : 63,21 %.


Partis de gouvernement

Fillon :   19,49 %.

Hamon : 6,19 %. La somme : 25,68 %.


La différence, du point de vue de cette division, est grande, voire écrasante. En nombre de voix : 23 394 788 contre 9 504 283, soit une différence de 13 890 505.


Si on divise ces courants entre « gauche » et « droite », on a :

Macron+Mélenchon : 42,46 %.

Le Pen :                      20,75 %. 

Deux courants « hors système » ont neutralisé le courant par excellence anti-système de Le Pen.  


On voit alors que, dans tous les cas, la « grande différence » résulte du catalyseur Macron. Toute la question est donc : qu’est-ce que représente Macron ? Pour répondre à cette question, le critère ne doit être le programme que secondairement. Le critère doit être général : les caractéristiques de sa vision, de ses visées générales (l’« optimisme », par exemple), de sa personnalité, de sa façon de s’organiser et de faire campagne. Comme j’ai écrit dans la première synthèse, au fondement de sa démarche se trouvent deux idées phares : fin de la division droite-gauche, fin des partis traditionnels. Que Macron ait remplacé cette division droite-gauche par la division conservateurs-progressistes, n’a pas grande importance pour l’instant, c’est plutôt un dispositif rhétorique employé par lui. 

Du point de vue de ces idées phares, les choses sont claires : 23,39 % des votants, 8 656 346 individus, majorité relative faible mais majorité quand même, ont choisi la « nouveauté », quelque chose plus vague que le « renouvellement de la vie politique » revendiqué par Macron et son nouveau « mouvement politique », En Marche ! C’est l’événement, à savoir ce qui est inattendu. Ce fait, à un degré plus grand que les autres résultats, est difficilement explicable complètement ; il n’est pas pour autant non élucidable. De ma part, je dois l’avouer, malgré la critique aiguë que j’adresse à la politique instituée et à ses partis, je ne pensais pas que l’érosion des deux partis de gouvernement ait atteint le point de l’effondrement que l’élection a révélé. Face à l’homme Emmanuel Macron, nous sommes donc à la fois devant deux faits majeurs et deux défis à relever : c’est l’avènement Macron et l’événement Macron.       

Du point de vue des programmes des candidats, pensons maintenant sur quelques critères qui pourraient rapprocher ou éloigner les candidats. Nous ne mettons que les titres de certains sujets sans entrer dans leur substance programmatique ou réelle, qui seule pourrait montrer et nous faire comprendre s’il y a vraiment une différence entre ce que chaque candidat propose à propos du sujet chaque fois considéré.

Laïcité :

Macron :       23,39 %.

Mélenchon :  19,07 %.

Hamon :         6,19 %. La somme : 48,65 %.


Le Pen :                20,75 %.

Fillon :                  19,49 %.

Dupont-Aignan :   4,58 %. La somme : 44,82 %.


Alors, Macron joue, et contribue, sur plusieurs tableaux à la fois. Il donne une majorité aux forces de la « tolérance », il représente un frein aux excès et aux exagérations, il donne une légitimité aux compromis. Macron serait « un bon compromis », m’avait dit un jeune économiste bien longtemps avant le premier tour. Macron est la nouveauté et le lien, le novateur et le rassembleur. Il représente la pacification, correspondant à un esprit assez rependu dans les sociétés actuelles, qui préfèrent les « bons » compromis de la pacification, malgré une violence inouïe qui se manifeste dans celles-ci et qui ne vient pas uniquement de l’extérieur de celles-ci.      


Encore un exemple vers cette interprétation donne le critère suivant.

Europe :

Macron :  23,39 %.

Hamon :   6,19 %.

Fillon :     19,49 %. La somme : 49,07 %.


Le Pen :                20,75 %.

Mélenchon :         19,07 %.

Dupont-Aignan :   4,58 %. La somme : 44,40 %.


Là-dessus, Macron donne la majorité aux forces « réformatrices » dans le cadre de l’Union européenne.

Sans Macron, on aurait pu avoir (hypothèse absurde, mais hypothèse quand même) :

Fillon :    19,49 %.

Hamon :  6,19 %. La somme : 25,68 %.


Le Pen :                20,75 %.

Mélenchon :         19,07 %.

Dupont-Aignan :   4,58 %. La somme : 44,40 %.


Ce qui correspond exactement à la division : partis de gouvernement et courants hors partis de gouvernement, mais sans Macron, qui nous sauve du « populisme ».

Il va sans dire que tous ces rapprochements, tous ces regroupements, sont indicatifs et ils contiennent une grande part d’arbitraire. Ils correspondent plutôt à certaines sensibilités, on pourrait dire, et à certains modes de penser et d’agir               « politiquement ». J’avoue, par ailleurs, que les sujets choisis en tant que critères, ne sont pas neutres pour moi. Les sondages ont essayé de constituer la classification des sujets qui sont considérés comme les plus cruciaux pour les électeurs. On voyait dans les premières places le « chômage » et la « sécurité ». D’autre part, les programmes sont des programmes sur papier et chaque électeur n’a à voter qu’un seul candidat. Troisièmement, je considère toujours très importants les débats individuels, personnels, de la vie effective, loin de la vie virtuelle et en grande partie fictive des medias. Dans mon effort pour comprendre la situation actuelle de la société française, les sujets de la laïcité et de l’Europe résument mieux les enjeux de pensée et d’action qui se jouent au fond des choses. Laïcité et Europe ne sont d’ailleurs que des titres. Ces deux sujets incarnent l’esprit de l’ouverture et de la tolérance, de la pensée critique et de la liberté, qui d’une certaine façon l’emportent face à des forces opposées, lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017, et cela grâce en grande partie aux jeunes électeurs.       


L’avènement Macron devient, crée, l’événement Macron

J’ai noté, dès la première synthèse, que la spécificité la plus marquante de cette élection de 2017, du point de vue de la politique instituée, est la création ex nihilo d’un nouveau « mouvement politique », celui qui a été baptisé En Marche !. Les lettres manuscrites de ce logo accompagnées par un nom Emmanuel Macron, de mêmes initiales, indiquent clairement qu’un homme a pris l’initiative et qu’il veut être le chef incontestable de ce « mouvement ». Dès le premier jour de l’annonce de la fondation de son « mouvement », le 6 avril 2016, Macron a parlé aussi bien des partis classiques ou traditionnels qui ne peuvent plus répondre aux exigences de la réalité que du dépassement du clivage droite-gauche par cette même réalité. C’est l’avènement Macron.

Pour quelqu’un, comme moi, qui a exercé très activement la pratique traditionnelle lors des campagnes pré-électorales d’une autre époque, impressionne le choix génial de En Marche ! de mixer le traditionnel (le porte à porte) et le moderne (l’informatique, la communication), dans le domaine de l’organisation de cette campagne pour l’élection présidentielle de 2017. Impressionne également l’inventivité à propos des paroles et des slogans percutants.  

Les résultats du premier tour ont créé l’événement Macron. Vu ces résultats, qu’est-ce que représente Macron ?

Macron, le pacificateur, celui qui joue le rôle de modération, et en même temps celui qui à lui seul vise à effectuer le renouvellement de la vie politique. (La synthèse est arbitraire et n’a pas peut-être de sens, car c’est l’avenir qui le montrera.) Macron, le nouveau et le jeune à la fois. Le rénovateur, le rassembleur (voir ses propos sur le mariage gay), le radical lorsqu’il fallait (histoire et Algérie), l’opposant efficace contre Marine Le Pen[55].

Le débat télévisé entre les deux finalistes


Comme déjà dit, le débat télévisé entre les deux finalistes, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, le 3 mai 2017, constitue un autre fait capital de la période examinée. Avant de présenter quelques caractéristiques essentielles de ce débat, osons un résumé dans les limites de la politique instituée. Macron y a emporté une victoire stratégique générale et de longue haleine face à Le Pen ; il a détruit, une fois pour toutes peut-être, l’éventualité, et son spectre qui pesait lourd sur toute la vie politique française et au-delà, d’un accès du Front national au pouvoir. Il a démontré, ou il a contribué à faire apparaître au grand jour, la vocation de Le Pen à être une femme politique de discours protestateur uniquement, nourri de mensonges et d’injures, ainsi que l’incapacité de cette dernière à proposer un projet politique cohérent. Mesurée à l’aune de la stature d’une cheffe d’Etat, Marine Le Pen est devenue pitoyablement ridicule. Le résultat du premier tour, conséquence en partie de ce débat, c’est le résultat, mais l’image de Le Pen, « le visage de l’extrême droite », restera.[56]  


Du point de vue procédural, si on peut dire, le débat a été mauvais. Le Pen interrompait sans arrêt son interlocuteur ; ce dernier a été obligé de répliquer. Ce n’était pas facile de faire autrement, j’en conviens. Macron pourrait cependant faire preuve de davantage de retenue, pour éviter autant que possible ce parasitage continu provenant de la coupure de la parole de l’autre ou des discours simultanés. Heureusement, il n’a pas cédé au style injurieux, mensonger et méprisant de son interlocutrice. Ce serait la catastrophe, non pas pour lui principalement, mais pour la campagne, et l’éthos démocratique en général.

Du point de vue de la substance du dialogue des deux candidats, de la présentation de leur programme, le point essentiel est ceci : il a été avéré que Le Pen avec son parti, le Front national, est une voix de protestation irresponsable, sans rien derrière. Le Pen est bonne à rien que pour crier contre ses adversaires politiques sans avoir des propositions. Ce n’est pas le populisme – malgré son slogan de campagne :  « Au nom du peuple » –, c’est l’incapacité ou l’impossibilité foncière de synthèse de toutes les protestations, colères, privations, frustrations, etc. Et l’immigration seule reste le bouc émissaire pour expliquer les vraies difficultés de la société française. Ce schéma de pensée, le seul cohérent et permanent des Le Pen, ne peut plus marcher. L’immigration est une question, mais ce n’est pas LE problème de la société française.

L’incapacité de Le Pen ne dispense pas pour autant Macron. Ne serait-ce qu’avec une seule phrase très générale au point de dire tout et rien, Macron, à la fin de son intervention, a essayé de dire la situation de la France : « La France, mon pays, notre pays, est aujourd’hui dans une crise profonde qui est une crise morale, et un doute qu’il a sur lui-même suite à l’échec des politiques depuis plus de vingt ans. C’est aussi l’échec d’une capacité à créer l’unité. » Macron avait juste avant affirmé : « Je veux une France réconciliée et je veux une France vraiment transformée ».[57]

On constate l’incapacité de Macron à synthétiser substantiellement et positivement. Crise morale : banalité que chacun des candidats pourrait prononcer. Perte de la confiance à soi-même de la société française ; en quoi donc et par rapport à quoi ? J’avais remarqué que Macron a parlé plutôt de la France que de la société française. Ce n’est pas la même chose : la France, c’est le pays vers l’extérieur, vers le monde ; il y a pourtant la France pour elle-même et par elle-même. Échec des politiques depuis plus de vingt ans : lesquelles et pourquoi des vingt dernières années seulement ? Créer l’unité : sur quelle base ?

Les analystes regardent le spectacle. Il y a pourtant une substance – ou non par ailleurs – de la parole. La confrontation n’a pas éclairé les choses, les idées et les propositions programmatiques. Les orientations de chaque candidat ne sont pas devenues claires. Il en résulte un vide substantiel. C’est principalement de la responsabilité de Le Pen[58], c’était d’ailleurs sa stratégie, son objectif. De ce point de vue, la réplique finale de Macron est juste : « Je ne suis pas dans un spectacle télévisé, restez à la télévision, moi je veux présider ce pays. »    


L’abstention


          Seulement une introduction et quelques remarques sur ce sujet très important auquel je consacrerai un texte à part.

Je ne suis pas spécialiste de l’abstention. Je ne veux pas être spécialiste de quoi que ce soit. Il ne faut pas oublier cependant que j’ai passé 15 ans de ma vie en réfléchissant sur le sujet de la participation et de l’apathie politiques. Aussi bien dans le cas de la Grèce moderne (1960-1990) que dans celui de la France (1958-2001). Depuis, je n’ai jamais cessé de réfléchir sur ce même sujet. Mais, justement, dans cette réflexion, j’ai forgé le vrai sujet de ma pensée politique, la démocratie.

Pourquoi ? Parce que les régimes politiques actuels sont des oligarchies. Avec des forts éléments de libertés démocratiques, certes, surtout la liberté d’expression. Mais, si le critère ultime pour un régime politique est la question : qui décide ?, dans les régimes actuels, seulement un petit nombre d’individus prennent les décisions sur les affaires de la société. La liberté d’opinion est garantie, mais qui écoute et prend en compte cette opinion ? Il en résulte une caractéristique beaucoup plus importante et décisive des oligarchies contemporaines. Les peu nombreux au pouvoir, définition de l’oligarchie, prennent des décisions peu nombreuses par rapport à celles que la réalité sociale requiert, et plus important encore on ne sait pas s’ils prennent les décisions cruciales, s’ils prennent des décisions sur les affaires communes de la société, et si ces décisions sont les bonnes. L’expérience montre que les peu nombreux, les oligarques, ne peuvent pas voir les questions cruciales de la réalité sociale, ils ne peuvent pas non plus juger quelles sont les affaires communes de la société et quel est le bien commun.   

Les idéologues de l’oligarchie nous disent qu’il n’y a pas d’autre solution possible dans les sociétés actuelles, pour plusieurs raisons, dont la raison principale est que les gens ne veulent pas s’occuper de la chose publique. Mais, ceux qui énoncent cette idée de l’impossibilité d’une autre solution – idée fondée sur leur supposition arbitraire, selon laquelle les gens ne veulent pas s’occuper de la chose publique –, sont obligés d’accepter que, par conséquent, leur régime n’est pas démocratique.

          La vraie question est de savoir comment on peut créer une société dans laquelle ses membres aient la passion pour les affaires communes. Une telle société, parfaitement envisageable, des gens démocratiques, est la seule qui pourrait être démocratique. Quelles autres passions pour les principes substantiels vont créer ces gens démocratiques, vrais citoyens, avec et par leur passion pour la chose commune, c’est une autre question jamais résolue par avance.[59] Mais, on ne peut pas faire une telle société, si on présuppose par avance que les gens ne veulent pas être habités par cette passion.      

         

C’est seulement à partir de cette base que nous devons réfléchir sur le sujet de la participation et de l’apathie politiques dans les sociétés occidentales contemporaines à régime représentatif, appelé abusivement « démocratie représentative ». La participation électorale, dont le contraire a été appelé abstention, est un faible indice d’intérêt pour la « politique » et d’implication à la « politique » qui n’est bien évidemment rien d’autre que la politique instituée. Une preuve en suffisait : les politologues et les journalistes se souviennent de l’abstention une fois tous les cinq ans. Le reste du temps, les gens ordinaires (sic) pourraient aisément vaquer à leurs occupations ordinaires, s’occuper de leurs affaires habituelles ; ils ne sont ni citoyens, encore moins votants, ni indifférents appelés le moment venu abstentionnistes par ces autres gens du commun bien entendu que sont les politologues et les journalistes. Et pourtant la question se pose : pourquoi, dans un pays d’environ 67 millions d’habitants, seulement 47,5 millions sont inscrits sur les listes électorales, dont          36 millions seulement se sont exprimés et 11,5 millions ne se sont pas exprimés ?

L’histoire des analyses de l’abstention par les apologistes du système représentatif est très longue et je ne peux pas la tracer ici. Pour la période historique de la vie politique française, dans laquelle nous sommes semble-t-il encore, c’est-à-dire la Ve République, cette histoire commence avec celle-ci. L’abstention au premier tour de l’élection présidentielle, le 23 avril 2017, mais aussi le résultat général, laissent supposer une plus forte abstention au second tour et aux élections législatives qui vont suivrent. Je ferai donc une analyse de l’abstention dans le texte à part dont j’ai parlé au début de ce sous-titre. Un fait plutôt anecdotique, une formule rhétorique, me donne l’occasion de présenter quelques remarques sur l’interprétation vulgaire déterministe de l’abstention par les chercheurs professionnels de science politique.       

Le soir du 23 avril 2017, après l’annonce des résultats du premier tour,  François Fillon a déclaré : « L’abstention n’est pas dans mes gènes. » Il a justifié ainsi, « biologisé » même pourrait-on dire, l’affirmation de Castoriadis avec laquelle j’ai commencé, pour l’interroger, ma première synthèse : les gens continuent de voter pour tel ou tel parti, même après avoir été trompés de manière répétée, parce qu’ils sont fabriqués ainsi en tant qu’individus sociaux – et non pas bien entendu en tant qu’êtres biologiques. La phrase de Fillon dit la fabrication biologique pour la rendre plus solide, mais faussement. La vérité est que l’idée d’aller voter, le droit de vote, c’est une idée valorisée à l’outrance, c’est une idée de la politique instituée. Quelque chose que l’on fait presque mécaniquement. On pourrait cependant fabriquer des individus critiques.[60]  

Paradoxalement, la formule rhétorique de Fillon, d’un autre point de vue, c’est la rencontre avec les chercheurs et la réponse aussi aux analyses de ces derniers sur l’abstention. L’abstention est déterminée fortement, lourdement, par les facteurs objectifs socio-spatiaux, nous disent les professionnels de science politique.[61] C’est comme s’ils disent que l’abstention est dans les gènes des pauvres ! Et pourquoi donc l’abstention est dans les gènes des pauvres ?

Mon avis est simple, ceux qui votent sont soumis à la politique instituée, ils ne sont pas riches ou pauvres. Soumis à la même politique, et davantage, sont aussi les chercheurs en question, bien entendu. Alors, les autres, ceux qui ne votent pas, sont critiques à l’égard de la politique instituée – non pas insoumis à la Mélenchon. Ceux qui ne votent pas n’attendent rien de la politique instituée. Cela est clairement une position critique, et non pas ignorance ou indifférence ou préoccupation avec d’autre chose. Même si c’est préoccupation avec leurs problèmes de survie, cela signifie encore qu’ils n’attendent pas la solution de ces problèmes par les politiciens. C’est aussi simple que ça.

Les pauvres ne participent pas à la politique instituée, ils s’en fichent, non pas parce qu’ils sont pauvres (facteur prétendument objectif). Pas du tout. La position des chercheurs prétendument sympathique, complaisante, envers les pauvres, anéantit les pauvres en tant qu’êtres humains pensants. Ils n’y participent pas, parce que, tout en étant pauvres, pensent quand même ! Et pensent que ce régime politique n’est pas fait pour eux. Ils pensent que rien ne changent pour leur vie réelle par les élections. Ils rejettent donc les élections. C’est une idée politique – fausse ou vraie, peu importe – qui se trouve derrière ce comportement, et non pas la pauvreté en tant que condition objective. C’est une idée politique vraie en l’occurrence. Les pauvres sont pauvres mais non pas pauvres d’esprit, comme ils les considèrent les sages chercheurs de la sociologie électorale et électoraliste.

La position déterministe ignore la pensée des hommes et leurs idées. Elle réifie, chosifie, les hommes, elle les rend des choses inanimées, êtres inexpressifs. Elle est marxiste : la lutte de classes, inscrite au calepin de l’Histoire, sans la lutte des hommes en chair et en os, et leur pensée. Sans leur pensée, leurs positions politiques, leur comportement réel, et même leurs luttes. Parce que c’est lutter ne pas voter ! Le déterminisme le plus dur se trouve dans le cerveau des chercheurs, parce que, en plus, pour eux le régime politique est donné une fois pour toutes, il est condition inébranlable et sine qua non de leur pensée – manque de pensée en fait. Pour eux, celui qui ne participe pas à ce régime, il est indifférent, alors qu’il pourrait être contre ce régime – et il l’est en fait.

Ces paroles semblent dures. Elles sont vraies. Les sociologues cherchent les raisons objectives, « sociales », d’un comportement. Ils « socialisent » abusivement ce que Fillon a « biologisé » rhétoriquement. Et un sociologue de renommée internationale, Pierre Bourdieu, dit que les gens qui ne participent pas à la vie politique, et au vote, ont un sentiment d’incompétence – autre façon de dire qu’ils sont complexés. Ces sociologues n’ont pas pensé un seul instant de poser la question : Mais, à quoi sont-ils invités à participer ces gens ? Ils sont invités à participer à un système politique de merdre. Et, puisqu’ils n’y participent pas, ces gens sont critiqués, sont analysés, sont considérés et traités en tant qu’aphones. C’est trop.          

         




























L’état du pays, c’est-à-dire de la société, illisible ?


Qu’est-ce qu’on peut comprendre de la situation d’une société donnée par la façon avec laquelle se sont comportés des millions d’individus lors d’un scrutin ? La question mériterait un long développement. Contentons-nous à l’essentiel.  

Une élection n’est pas un sondage. Banalité que l’on doit dire cependant ; à tel point les sondages, comme je l’ai déjà écrit, sont devenus la raison d’être des élections.[62] L’élection, une élection, c’est l’enregistrement momentané de l’opinion de chaque votant sur la situation de la société et sur le comment on doit en faire face pour la modifier – ou pour la conserver d’ailleurs.

Cette opinion, selon le caractère spécifique de chaque élection, selon un cadre prédéterminé, fixé par avance (par exemple le système électoral), s’additionne à des millions d’autres, et puis les opinions, en fait les voix, se regroupent sous les bannières préexistantes. Ce sont les programmes des candidats, et pas seulement, car il y a aussi leur personnalité, la personnalité de leurs adversaires, et beaucoup d’autres éléments. Il ne faut pas oublier cependant que chaque électeur vote finalement pour une personne, un nom, le nom du candidat écrit sur le bulletin de vote qu’il dépose dans l’urne. Cette personne, ce nom, a un programme nous dit-on. Mais, qui pourrait nous assurer par avance que cette personne appliquera ce programme ? L’expérience nous montre amplement que, une fois élu, le candidat n’applique pas son programme, ou il n’applique qu’une partie de celui-ci. Assez souvent, un élu fait tout le contraire de ce qu’il a promis.    

Mille facteurs jouent sur le choix que fait chacun. Mais chacun fait un choix. C’est le choix d’un moment, et personne ne pourrait mesurer ni l’ampleur de l’information de l’électeur, ni à quel degré ce choix est suffisamment délibéré, réfléchi. À ces facteurs, mille autres s’ajoutent, s’invitent. Le niveau de la campagne préélectorale, le système électoral, l’« offre » électorale, les événements survenus pendant la période avant les élections, et ainsi de suite.

          Malgré la critique que j’adresse à la politique instituée, et au régime représentatif, il n’y a chez moi aucun doute que les élections représentent un moment important tout au moins pour ce que l’on dit vie politique. D’autant plus que très répandue est chez beaucoup de gens l’idée selon laquelle l’élection constitue le moment pour dire leur opinion et « peser sur la situation ». Que cette idée soit vraie ou qu’elle soit une illusion, l’élection est un moment privilégié de leur expression en tant que sujets – s’ils sont entièrement autonomes, c’est une autre affaire.

                             

Pour entrer à présent dans le concret, le premier tour de l’élection présidentielle de 2017 en France a vu l’enregistrement momentané des opinions des électeurs sur onze candidats. De cet enregistrement, on doit garder également le refus des millions de gens à exprimer une opinion, par la dite abstention principalement, mais aussi par les bulletins blancs et une partie de bulletins nuls. En réduisant, on va réfléchir seulement sur le regroupement des opinions à l’égard des quatre principaux candidats, qui a donné ce qui a été appelé les quatre composantes. J’ai appelé celles-ci tout à fait provisoirement quatre courants de pensée (voir p. 30). Je me demande maintenant s’il s’agit tout simplement de quatre courants électoraux, tout en gardant à l’esprit l’idée selon laquelle un enregistrement par rapport à ces composantes sera plus complet au moment des élections législatives. Un jugement du caractère de ces quatre composantes sera donc plus complet aussi après ces élections. 

Concernant l’abstention, aussi bien que les bulletins blancs et nuls, je rappelle que, arithmétiquement parlant, dans un pays d’environ 67 millions d’habitants, seulement 47,5 millions sont inscrits sur les listes électorales. Parmi ces électeurs potentiels, 36 millions se sont exprimés, c’est-à-dire que 11,5 millions ne se sont nullement exprimés ; 10,5 millions ne sont pas allés voter et, parmi les votants, presque 1 million ont déposé un bulletin blanc ou un bulletin qui a été considéré comme nul.[63]   

Parmi les 11 candidats, les 7 derniers ont obtenu ensemble un peu plus de         5 millions des suffrages (5 446 611 pour l’exactitude). Les quatre premiers candidats ont obtenu en somme 30 607 783 voix, soit 64,32 % seulement du corps électoral. Ces candidats, qui représentent soit quatre courants de pensée soit quatre courants électoraux soit autre chose, ont chacun obtenu en gros un nombre de voix presque équivalent.  

Si le résultat est, très grossièrement parlant, une photographie du moment, un instantané, de la société, la photographie est là. Mais elle n’est pas que cela. La photographie contient aussi le passé et l’avenir. À quel degré, on peut seulement le supposer. Mais, on sait dorénavant que la photographie que l’on va analyser, contenant 30,6 millions de voix, est fragmentaire aussi bien que provisoire.


Après longue réflexion, et en accord avec ce que j’écris à la p. 29 : « les résultats du premier tour montrent peut-être comment les gens qui ont voté voient l’état actuel de la société française et comment ils envisagent son éventuelle modification », je pense qu’une meilleure formulation, concernant les quatre composantes, serait de parler de quatre regards différents sur l’état de la société et de quatre orientations générales quant aux possibilités de sa modification. On pourrait dire aussi que les quatre composantes sont quatre préférences relatives à une personne, à une personnalité, ou à l’égard d’un programme, d’un projet.

Avant d’aller plus loin, rappelons ce que j’ai écrit au début, dans la note préliminaire, p. 29 : « Un élément incontestable est ceci : aussi peu démocratique qu’elle soit la procédure électorale, la pluralité/diversité des options choisies par les électeurs, l’abstention y comprise, indique tout au moins cette idée démocratique importante : l’état actuel de la société n’est pas vu de la même manière par ses membres, qui envisagent certainement des différentes orientations pour sa modification. » La chose la plus « naturelle » dans la conception d’une lecture démocratique de la réalité sociale, qui est toujours la mienne.[64]

Ainsi, je dois – on doit – voir d’une autre façon maintenant la société française, pour laquelle j’écrivais début mars 2017, dans la première synthèse (p. 9), qu’elle semble plus désorientée que jamais.

Les quatre regards, difficilement saisis pour être caractérisés, témoignent d’un pluralisme d’opinions, certes, mais d’une dispersion à la fois. Notons que les courants électoraux sont, en fait, onze. Dans la pluralité et la diversité des opinions, il y a une confusion, et cette richesse confuse rend difficilement lisible une orientation préférée. Non pas désorientée, mais poly-orientée la société. Il ne s’agit pas du tout néanmoins d’une « France coupée en quatre », comme prétendent avec leurs discours alarmistes des politiciens surtout de la droite, pour défendre leurs privilèges.

Comment synthétiser ? C’est-à-dire comment donner un visage à chacun de ces quatre regards différents sur l’état de la société et à chacune de ces quatre orientations générales quant aux possibilités de sa modification, si ce n’est que le visage du candidat correspondant ? Une grande difficulté se présente même pour nommer, caractériser, ces regards/orientations, à supposer qu’ils synthétisent chacun quelque chose de substantiel.

La synthèse est arbitraire. Pour ces quatre courants électoraux plutôt que de pensée, pour ces quatre courants d’intérêts particuliers plutôt que de projets basés sur le bien commun, pour ces quatre personnalités plutôt que pour quatre programmes globaux de société, osons néanmoins écrire quelques caractéristiques sommaires.

Macron : le renouvellement de la vie politique à venir, le sentiment de l’enthousiasme et l’optimisme affiché, l’audace et le pragmatisme en même temps, …

Marine Le Pen : le nationalisme contre la maudite mondialisation, le sentiment de la peur, …

François Fillon : le cynisme, malgré et avant tout, et envers tous, …

Mélenchon : la gauche archaïque et arriérée, dogmatique, autoritaire, …

Puis une gauche de gouvernement en ruines vraiment (Hamon, 6,19 %), un gaulliste lepéniste (Dupont-Aignan, 4,58 %), et une cohorte de cinq candidats vraiment insignifiants de tous les points de vue (en somme : 3,91 %).

Disons que c’est l’arc-en-ciel des couleurs du pluralisme. Encore faut-il que ces couleurs fassent sens. Une société morcelée, qui a cependant le mérite d’exprimer, d’assumer même, ce morcellement, ne serait-ce que dans une désorientation/poly-orientation.  

S’il se dégage quelque chose de général, c’est le renouvellement de la vie politique, ne serait-ce que du point de vue du changement du personnel politique, et de sa déprofessionalisation. C’est le rejet de la classe politique ancienne, considérée, par d’ordre d’importance, comme corrompue, incompétente, incapable. La désorientation de la société, dont je parlais dans la première synthèse, provenant de l’irruption brutale dans la campagne pré-électorale d’une grave affaire de corruption d’un des principaux candidats, a « contribué » à faire valoir comme enjeu principal de l’élection le renouvellement de la classe politique. L’affaire Fillon, et la façon avec laquelle ce dernier l’a gérée, a finalement accéléré et approfondi la volonté du renouvellement exprimée à temps opportun par Macron. L’importance de l’enjeu et les forces opposées autour de celui-ci, expliquent la légère mais suffisante avance de Macron au premier tour, comme elles expliquent la grande dispersion de voix. La désorientation a été transformée en poly-orientation. Pluralité et confusion en même temps. 


Le second tour constitue-t-il une synthèse ? Il se trouve que le second tour est le tour décisif, dans le cadre de la politique instituée toujours, car de lui dépend qui sera le Président de la République. Mais, il s’avère que le premier tour nous fait mieux comprendre la société, les courants qui la traversent, les tendances qui sont en train de naître, d’émerger.    

Comment synthétiser ? Ce système électoral ne peut pas, ne permet pas à, faire la synthèse. Et derrière ce système existe le régime politique qui pose un énorme problème comme déjà dit au début. C’est la réalité qui va le faire pour nous.[65] Le système électoral ne peut pas le faire en substance, mais il le fait quand même nécessairement par les résultats, qui désignent obligatoirement ceux qui sont élus députés. Pour le reste, tout dépendra de l’avenir, des décisions prises par la nouvelle gouvernance du pays. Ce sont les politiciens, partisans jusqu’au bout, et les journalistes, qui prétendent à l’impartialité fausse, et trompeuse, qui disent n’importe quoi. La situation est extrêmement difficile. Macron réussira-t-il de changer, tant soit peu, les mœurs politiques tout au moins ? On ne sait pas. On doit oser le dire : on ne sait pas. Honnêteté intellectuelle et impartialité suprêmes.    


Comment composer ? Où est-il le bien commun ? Les valeurs fondamentales que sont-elles devenues ? Qu’en est-il des principes qui doivent remplacer – ils sont en train de le faire – les quatre valeurs fondamentales ? Début des interrogations fructueuses.  


                                                                                

nicos iliopoulos


Le Pirée - Paris, 1er mai - 6 mai 2017









L’élection présidentielle de 2017 en France

Synthèse finale


Note préliminaire


L’exercice de pensée politique que je fais, est difficile mais passionnant !

Mon objectif est l’état de la société française. C’est celui-ci que je vise à comprendre, seulement à comprendre, à élucider. De zones d’ombre existent dans cette compréhension et existeront à jamais. Par exemple, comment comprendre ce que pensent les millions d’hommes et de femmes qui vivent dans cette société ? On peut dire, dans une première approche, que l’on sait mieux ce qu’ils font ou ne font pas – ils votent par exemple ou ne votent pas.

Il y a une politique, dans le cadre du régime établi, que j’appelle politique  instituée. Son rapport avec la société globale, c’est une longue discussion. C’est notre discussion. Mon idée est que la prise de la politique instituée sur la société globale est faible et l’impact de cette même politique sur la situation de la société est piètre. La politique instituée n’a aucun rapport avec la politique en tant qu’activité collective et individuelle, réfléchie et lucide autant que possible, visant l’institution globale de la société et, par conséquent, toutes les institutions sociales.  

Plus important encore, la politique instituée s’inscrit dans un régime politique qui est désespérément oligarchique, et donc profondément anti-démocratique.[66] De cette idée résulte mon refus délibéré, voulu et total, de participation à la politique instituée ainsi que mon inscription continuelle, pendant 31 ans déjà, dans le domaine de la pensée et de l’action pour la démocratie. Il y a un rapport entre le régime oligarchique : très peu d’hommes décident, et l’impact que leurs décisions/indécisions ont sur la société. En amont, la question se pose : avec quelle connaissance sur l’état réel de la société, les décideurs agissent ? Ensuite, comment on sait que les politiciens ont pris les bonnes décisions ? Ni délibération collective en amont, ni contrôle citoyen/démocratique en aval, telle est l’une des caractéristiques essentielles du régime politique institué et de la politique instituée.


Et pourtant, j’essaye de penser la politique instituée. C’est à scrutant ses limites que nous pouvons trouver peut-être et démontrer ses failles internes pour réfléchir comment serait possible un autre régime politique, et social bien entendu. C’est l’objectif du fond. En même temps, je suis entouré de personnes qui s’intéressent à la politique instituée, qui votent, qui sont même passionnées pour les élections. Cela me passionne de discuter avec ces personnes, à les aider peut-être à voir plus clair – sans prétention. 





Il n’y a aucun doute que l’élection présidentielle de 2017 s’est déroulée sous l’ombre d’une éventuelle élection de Marine Le Pen, et derrière plus lourd encore existait l’ombre de Brexit et de Trump. Je suis parmi les rares, au moins dans mon entourage, que, dès le début, j’avais la conviction que Marine Le Pen ne passera pas.[67]

Mais, la campagne préélectorale avait d’autres aspects aussi : le phénomène Macron, tout d’abord, que j’appelle l’avènement et l’événement Macron. Ensuite, le comportement d’une certaine gauche qui, à ma très grande surprise, à mon grand étonnement (principe et commencement de la philosophie), s’est comportée, après les résultats du premier tour notamment, comme si elle aurait préféré que Le Pen passe ! Je n’admets pas le terme, et la notion, de populisme. Terme très vague et imprécis pour la pensée politique, et notion qui couvre des réalités tout à fait différentes. À plus forte raison, je ne reconnais pas un « populisme de gauche ». C’est pourquoi, il faut étudier sérieusement l’évolution d’une certaine gauche qui a « politiquement » voulu gagner plutôt l’extrême droite en France que Macron. L’extrême droite que cette même gauche avait mise depuis longtemps au viseur comme son ennemi principal et comme un objectif prioritaire de ses luttes. Des questions très graves se posent à moi, non seulement pour la capacité théorique de cette gauche, sa capacité de saisir la société contemporaine, mais aussi pour sa démocraticité. Ce qui revient au même. Ces gens de gauche ont peut-être préféré « politiquement » ce qu’il a dit ouvertement l’un de leurs : « on veut avoir devant nous un ennemi clair » ![68] Et beaucoup d’entre eux se sont projetés abusivement jusqu’à l’élection de 2022, pour prévoir précipitamment la victoire de Marine Le Pen. Comme s’ils auraient espéré voir en 2022 la réalisation de ce qu’ils ont raté en 2017.   


Au moins par les deux synthèses sur l’élection présidentielle, que j’ai rédigées, avant la phase finale de cette élection, le premier et le second tour, on peut constater que les événements spécifiques de celle-ci ont été vus et analysés. Voilà aussi le côté persistant de la chose.           








Synthèse finale


Les résultats d’abord : les chiffres


Premier tour

Après les résultats du premier tour, ils ont parlé de quatre composantes :

Macron : 8 656 346, 23,39 % (+978 504)

Le Pen : 7 678 491, 20,75 % (+465 496)

Fillon : 7 212 995, 19,49 % (+153 044)

Mélenchon : 7 059 951, 19,07 %.

La somme : 30 607 783.

J’appelle, de façon arbitraire et la plus synthétique, ces composantes :

Le renouvellement

Le Pen

Droite dure

Gauche archaïque.

La question reste toujours, pour moi, la même : ce résultat nous dit-il quelque chose sur la société, sur l’état de la société ?


Si ce résultat nous dit quelque chose, dans des conditions très précises néanmoins, les conditions d’une élection et de cette élection très précisément (les conditions de son déroulement, et mille encore éléments), c’est que la désorientation générale de la société française, constatée dès ma première synthèse – du point de vue de la politique instituée, il ne faut jamais l’oublier –, s’est transformée pratiquement en une poly-orientation.

Désormais, selon les résultats tangibles, réels, effectifs, du premier tour, la désorientation s’exprime par la dispersion aussi, ce qui est totalement normal, selon moi, et même démocratique, je dirais. Les « quatre composantes », c’est très précisément la coupure en quatre des 30 607 783 électeurs, alors qu’ils existent :    11,5 millions d’électeurs potentiels non exprimés et 5,5 millions d’électeurs qui ont voté pour les petits candidats, une somme de 17 millions d’individus qui n’entrent pas dans cette composition.

Plus précisément encore, dans une population totale de 67 millions, seulement 47,5 millions sont inscrits sur les listes électorales ; 36 millions se sont exprimés,   11,5 millions ne se sont pas exprimés et les 7 derniers candidats ont obtenu ensemble  5 446 611 voix. Les « quatre composantes » ne concernent donc que 30,5 millions d’électeurs, alors qu’il y a 47,5 millions d’électeurs potentiels, inscrits sur les listes électorales, mais aussi environ 6,5 millions d’individus non-inscrits sur les listes électorales. Dans cette configuration, les 30,5 millions d’électeurs qui se sont partagés en « quatre composantes », représentent un peu plus de la moitié du corps électoral, soit 56,48 %.     

Une façon de voir ce résultat, c’est de revenir aux normes traditionnelles ou d’appliquer quelques autres critères, je veux dire par là qu’une telle façon est la lecture que j’ai faite dans la troisième synthèse. De normes traditionnelles, il reste quand même quelque chose de la division droite-gauche, et on a vu que la gauche est, malgré tout, relativement majoritaire. En ce qui concerne les autres critères, que j’ai employés de manière indicative, on a vu que Macron scelle le « bon compromis » sur les questions cruciales de la laïcité et de l’Europe.     

D’autre part, les « quatre composantes » ne nous disent pas grand-chose pour plusieurs raisons, dont l’essentielle est la plus simple : cette partition en quatre constitue le résultat du premier tour, alors qu’un second tour décisif est prévu. Par ailleurs, il y a aussi les élections législatives. En entrant dans la logique du système politique et dans la pratique du système électoral, cette partition en quatre devient bipolarisation, division en deux, et puis le règne de l’un, le Président élu.    


Second tour

On a maintenant le résultat du second tour. La façon la plus fructueuse de voir ce résultat final, est peut-être la suivante. Base les inscrits (on doit avoir une base, choisissons la meilleure). Les « quatre composantes » deviennent trois.

Macron :             20 743 128,       43,60 %

Non exprimés :   16 187 090,       34, 028 %

Le Pen :               10 638 475,       22,36 %.


Aussi écrasante qu’elle soit la victoire de Macron, le nombre de non exprimés (non votants, bulletins blancs et nuls) pèse lourdement et négativement sur son élection. S’il pèsera moins ou plus à l’avenir, cela dépendra de son action.    

Notre logique ne doit pas être « additive », c’est-à-dire d’adition, ou prise dans des considérations « politiques » secondaires, par exemple : ils ont voté Macron pour ne pas laisser Le Pen passer. Le renouvellement est devenu largement, relativement néanmoins, majoritaire, les non exprimés constituent un tiers du corps électoral, et Le Pen a atteint ses limites. (Normalement, ce sera la descente à partir de maintenant.) Reste à confirmer cette tendance, et ces tendances, aux élections législatives.

Ici devient nécessaire une petite analyse sur la légitimité de celui qui est fraîchement élu Président de la République. Et, alors, cette légitimité est entière. Elle devient même plus grande par comparaison aux Présidents précédents. Ce sont les chiffres, absolus toujours, qui parlent. Voir Annexe qui a comme titre Réflexions après le second tour. Je me contente de faire remarquer ici que, si la légitimité du nouveau Président est incontestable en chiffres, elle n’est pas telle en aura.      

On va voir, revoir, les « quatre composantes » du premier tour aux élections législatives. Le renouvellement est devenu « majorité présidentielle », avec tous les positifs et les négatifs que cela amène. Les indécis, les non exprimés, ce seraient plutôt ceux de la gauche et du « troisième tour social ». Et Le Pen se conduira peut-être vers l’affaiblissement. En prenant en compte les résultats des élections législatives, on peut le dire : les « quatre composantes » sont devenues une composante, la majorité écrasante de Macron surtout au premier tour des élections législatives, avec un rééquilibrage relatif au second tour.  

premier tour : 4 composantes            second tour : 3 composantes

renouvellement                                      Macron

Le Pen                                                    non exprimés (les « abstentionnistes » durables,

droite dure (ou noyau dur)                             puis abstention+blanc+nul, plutôt le noyau dur, les durs,

gauche archaïque                                                 parmi eux qui ont voté Mélenchon)

  Le Pen


Ces considérations concernent la situation après les élections législatives.

Un courant a été créé, le courant du renouvellement. Il est désormais tangible dans la société française, du point de vue de la politique instituée, je le rappelle toujours. Nécessairement, ce courant ne porte pas de couleur : droite, gauche, etc. Et, indirectement, il touche à tout, il concerne tout, c’est-à-dire tous les partis politiques.

« Visages et usages » ont été renouvelés, peut-être. Ce renouvellement n’est pas nécessairement la révolution ! C’est peut-être le retour aux traditions ! C’est une pente de la tradition de la Révolution française. Et l’esprit du Ve République. Le Président monarque ! Macron lui-même le prédit dans l’un de ses entretiens : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce     malentendu. »[69] Paroles qui nous invitent, entre d’autres, à une vigilance accrue envers un éventuel ou potentiel dérapage vers un autoritarisme du présent Président.

Ce renouvellement, ce n’est pas plus mal que les monarchies inavouables des deux partis scélérats de droite et de gauche et toutes les compagnies sclérosées. Ce n’est pas plus mal, mais on ne veut absolument pas une évolution vers le Président monarque. Que le renouvellement c’est la jeunesse, du point de vue de l’âge tout bêtement, la féminisation, l’entrée dans la vie politique de non professionnels de la politique, tout cela est évident. Mais qu’est-ce que cela va donner ?[70] Au lieu de la dite moralisation de la vie politique française, c’est la déprofessionnalisation de l’action politique en général qui doit avoir lieu. C’est ça la vraie moralisation. Et au niveau le plus général et important, c’est la démocratisation du régime politique qui est absolument nécessaire. 

Les sujets maintenant : la substance


Si la substance c’est la société française, dont l’état nous est inconnu et c’est celui-ci que l’on cherche à comprendre ayant comme base, comme occasion plutôt, cette élection, si la substance est donc la société française, dont la situation j’ai analysé dans mon texte Qui nous sommes et où nous allons, une première approche est la suivante. Cette élection n’a pas touché le fond des choses.

Macron qui est allé le plus loin – non pas le plus loin au fond des choses mais le plus loin par rapport aux autres candidats –, a touché plutôt l’humeur de la société actuelle, pour ainsi dire. Parallèlement, la fierté de la France, l’envie des Françaises et des Français d’être fiers. Il a beaucoup parlé[71] du pessimisme ambiant que l’on doit remplacer, faire alterner (voici l’alternance d’après lui), par l’optimisme.[72] Il a évoqué des énergies dormantes ou bloquées que l’on doit débloquer – pour faire quoi ? Il a parlé plutôt de la France que de la société.


La substance de la société, et de la situation de la société, c’est : religion-famille-éducation-travail. Sous deux aspects concomitants : la tendance historique lourde et la situation née des événements du 13 novembre 2015 et de leur suite.

Si on prend comme référence ce tétraptyque, la tendance historique lourde est l’effritement de la religion[73], à quoi la laïcité ne répond nullement. Et l’aspect d’actualité est qu’une religion particulière vise à insérer de nouveau la religion dans la société, à quoi la laïcité (la loi de 1905) ne répond non plus pas du tout. Devant cette situation, l’humeur de la société ne dit rien ou très peu devant cette question du sens de vie et du sens de la vie.

La famille décomposée a été « éclairée » par la famille recomposée – par la famille recomposée de Macron, entre autres et de manière symbolique –, et par les questions mineures – oui ! – du mariage gay, de l’adoption par les couples homosexuels, de la reconnaissance des enfants nés à l’étranger de mères porteuses, alors que l’effritement de la famille, de cette forme élémentaire du vivre ensemble, est évident et aboutit à des résultats catastrophiques mais aussi à de nouvelles formes du vivre ensemble. Sens de vie et de la vie, encore. Occasion de le dire, dans les critiques réciproques, parfois injurieux, blessant, et acerbes, entre les uns et les autres, les défenseurs de la famille traditionnelle et ceux du mariage entre personnes du même sexe, le gouvernement d’alors pourrait et devrait intervenir, Macron avait raison de le signaler. La « maladresse » du fond est toutefois ailleurs : la décomposition de la famille traditionnelle, nucléaire, n’a aucun rapport avec le mariage gay ; et, par ailleurs, celui-ci ne pourrait ni détruire ni sauver cette famille.

Quoi dire de l’éducation ? Tout est bon, face aux erreurs graves et répétées commises par les gouvernements précédents, tous courants confondus. Tout est bon, comme la suppression des devoirs à la maison et la diminution du nombre d’élèves dans les classes des zones sensibles. Mais, qu’en est-il des questions que posent par exemple les deux excellents ouvrages sous l’autorité d’un Marcel Gauchet ?[74] Selon lequel l’éducation a perdu son sens et les élèves s’ennuient terriblement dans la classe. Qu’en est-il de « La crise de l’éducation » et « La crise de la culture » (textes des années ’60 ?) de Hannah Arendt ? Qu’en est-il enfin et principalement de la paideia, formation de l’homme contemporain, du citoyen démocratique ? Sens de vie politique, passion pour la chose publique et les affaires communes, esprit du bien commun. Et on ne parle que de l’abstention, qui est très précisément l’« indifférence » des gens           à l’égard de la politique instituée. J’y reviendrai dans un texte à part. 

Travail : le vide est béant. Entre ici le sens de la vie, dans ce qui est considéré comme la valeur suprême de la société présente, la valeur travail. L’objectif principal que fixe pour la société la politique instituée étant la croissance, il entre aussi ici tout ce qui concerne l’écologie. Macron touche une pente dominante, on peut dire, dans la société présente : que chacun monte socialement, s’enrichisse matériellement, avec l’effort dans son travail. La question est que la présence physique de l’être humain dans les postes de travail diminue, et donc il n’y a pas de travail pour tous, sauf si on procède par partage du travail. Déjà, cette solution « altruiste » du partage du travail ne résout automatiquement ni la question des conditions de travail, ni la question de la juste rémunération ; beaucoup d’autres questions encore restent ouvertes. Mais, l’essentiel est ailleurs : le travail, pour quoi faire ? Quoi produire ? Autrement dit, la question du sens du travail, pour la collectivité et pour chacun, se pose ardemment.

Peut-être, l’erreur fondamentale de Macron, c’est sa croyance à la réhabilitation/revalorisation de la valeur travail. Pour plusieurs raisons, cette réhabilitation/revalorisation est impossible dans la société présente.  



             nicos iliopoulos


Paris, 9 mai - 22 août 2017








Annexe


Réflexions après le second tour


D’abord les résultats du second tour, selon le Conseil constitutionnel.


Electeurs inscrits :   47 568 693

Votants :                 35 467 327

                                                         *Moi : participation : 74,56 %

*Non votants :        12 101 366     abstention : 25,439 % des inscrits


Bulletins blancs :      3 021 499               8,519 % des votants


Suffrages exprimés :   31 381 603 


*donc, bulletins nuls : 1 064 225           3 % des votants


*abstention effective, c’est-à-dire rapport entre inscrits et suffrages non exprimés :

électeurs inscrits :  47 568 693

non exprimés :       16 187 090           34,028873 % des inscrits

(non votants, blancs, nuls)


En couleurs rouge et bleu, les éléments du Conseil constitutionnel, en couleur vert précédé de *, les éléments constitués par moi. 










 



Marine Le Pen :           10 638 475        33,90 %

Emmanuel Macron :    20 743 128        66,09 %

                                       *31 381 603



En ayant comme base les inscrits


Emmanuel Macron :    20 743 128        43,60 %

non exprimés :              16 187 090         34,02 %

Marine Le Pen :           10 638 475         22,36 %

                                        47 568 693




























Retour au premier tour

Prenant comme critère le résultat des quatre premiers candidats seulement, ils ont parlé de quatre composantes, dont se compose ou se décompose la société française. Ils ont oublié les non exprimés : non votants, bulletins blancs et bulletins nuls. Ils se sont d’ailleurs rappelé que l’abstention existe, ainsi que les bulletins blancs et nuls, au second tour seulement de cette élection présidentielle. Alors que ces faits sont récurrents et se reproduisent à tous les élections. Ce sont des grands démocrates. Ils n’ont pas de principes. Tout est bon – et démocratique – quand il va vers le sens de leur profit, de leur intérêt. Tout est mauvais, antidémocratique, quand leur intérêt électoral est touché.        


Premier tour : quatre composantes

                                                      des suffrages exprimés             des votants                      des inscrits

Macron :     8 656 346 (+978 504)             24,01 %          23,39 %         18,19 %

Le Pen :     7 678 491 (+465 496)              21,30 %          20,75 %         16,14 %

Fillon :       7 212 995 (+153 044)              20,01 %          19,49 %         15,16 %

Mélenchon : 7 059 951                              19,58 %          19,07 %          14,84 %


 La somme : 30 607 783                             84,89 %         82,7 %         64,326 %

La somme correspondant du second tour : 31 381 603 (à réfléchir)


non exprimés :                       11 527 789     24,227 % des inscrits

abstention (ceux qui n’ont pas voté) :  10 578 455        22,23 % des inscrits 

blancs :                                 659 997 [1,387 % des inscrits] 1,783 % des votants

nuls :                                     289 337, [0,608 % des inscrits] 0,781 % des votants

(Les bulletins blancs et nuls n’ont de valeur que par rapport aux votants.)

7 autres candidats 5 446 611                    15,106 %        14,719 %     11,446 %











J’appelle, de façon arbitraire et la plus synthétique, ces composantes :

Le renouvellement

Le Pen

Droite dure

Gauche archaïque.






Second tour : trois composantes

des inscrits      des votants

Emmanuel Macron : 20 743 128        43,60 %          58,48 %

non exprimés :          16 187 090         34,02 %

Marine Le Pen :        10 638 475         22,36 %          29,99 %

 47 568 693         100



Conclusion

On ne peut pas comprendre beaucoup de choses par les résultats des élections. Cela va de pair avec le caractère antidémocratique du régime politique, caractère qu’incarne parfaitement le système électoral. Que beaucoup se rappellent maintenant, et lorsqu’il y a des élections, ce système, cela montre leur conception électoraliste et surtout non principiel des choses.


          












La légitimité du Président élu,

d’après la logique du régime établi bien entendu


Si on ajoute aux suffrages exprimés : 31 381 603, les bulletins blancs : 3 021 499, tout autant expression politique de millions d’électeurs, on a finalement : 34 403 102 suffrages qui pourraient être parfaitement considérés comme suffrages exprimés.

Dans ce cas, parfaitement envisageable, Emmanuel Macron avec      20 743 128 des voix, dispose de la majorité absolue des votants (ceux qui ont choisi l’un des deux candidats ou qui ont voté blanc), avec un taux de 60,29 %. Et même si on considère comme bulletins d’expression les bulletins nuls : 1 064 225, en arrivant au nombre des 35 467 327 suffrages qui pourraient considérés comme suffrages exprimés, dans ce cas aussi, Macron a la majorité absolue : 58,48 %.

Le seul cas où le Président élu ne dispose pas de la majorité absolue, c’est le cas où on prend en considération la totalité des électeurs inscrits : 47 568 693. Dans ce cas seulement le taux de Macron est : 43,60 %.

Le taux de Marine étant, dans ce cas, 22,36 %, et de non exprimés : 34,02 %, Macron a une majorité relative, assez      large ( ?).

Si on considère que 50 millions d’électeurs potentiels devraient être inscrits sur les listes électorales, les trois taux sont :  

Emmanuel Macron :  20 743 128      41,48 %

non exprimés :            18 618 397       37,236 %

Marine Le Pen :          10 638 475       21,27 %      

  50 000 000        99,9860 %












Comparaison avec d’autres cas

Dans ce cas, comparaison fait raison, car au cas d’application de règles démocratiques, certaines élections pourraient être considérées non légitimes.

Partie à compléter. Je me réfère ici à une analyse que j’ai faite dans ma thèse, où je montre que certains candidats ont été élus Présidents de la République française sans obtenir la majorité absolue des votants.   































Où est la société française dans tout ça ?

Voilà la grande question


En ayant comme base les inscrits, essayons tout même de développer certaines réflexions. Je dis mon opinion sur la société française ; il y en a mille.


Emmanuel Macron :    20 743 128        43,60 %

non exprimés :             16 187 090         34,02 %

Marine Le Pen :           10 638 475        22,36 %

                                         47 568 693


         Qu’est-ce que veulent les presque 21 millions (sur 67 de la population totale, et sur 47 des inscrits) par ce vote pour Macron ? Qu’est-ce qu’expriment les 16 millions de non exprimés ? Et qu’est-ce que veulent les presque 11 millions qui ont voté pour Marine Le Pen ?

         Tout peut être séparé et puis distingué encore à maintes catégories. Tout peut être considéré en même temps dans sa cohérence et sa complexité.

            Les 3 021 499 qui ont déposé dans l’urne un bulletin blanc                (8,519 % des votants) sont beaucoup, dit-on, et c’est vrai. Mais, cela nous amène aussi à penser qu’il y a eu une liberté relative de choix entre Macron et Le Pen. Ce constat est renforcé, de façon bizarre, par le fait de l’existence de 12 101 366 non votants.

         On va faire une analyse par la suite sur le fait général de l’abstention électorale en France. On peut dire, dès maintenant, qu’une large partie de ces abstentionnistes – appelés ainsi abusivement – a fait un choix délibéré.

         Et cela nous amène à dire, pour avoir tout au moins une base, que le vote Macron n’est pas aussi « dispersé », polysémique, que l’on a dit.

         Ce vote, dès le premier tour (et il faut composer maintenant) dit ou indique ou signale quelque chose. Ça va être confirmé, je pense, par les élections législatives. Politiquement, bien qu’insuffisamment, le meilleur terme synthétique qui pourrait exprimer l’événement Macron, c’est le « bon compromis ». Du point de vue de son programme, j’entends. Car, du point de vue du système politique en place, pendant des décennies, il y a eu un bouleversement considérable avec l’avènement et l’événement Macron. Chose que l’on ne doit pas oublier. Moi-même j’ai des grands doutes, quant à la capacité et la possibilité de Macron de faire un renouvellement essentiel de la vie politique française. Changer la société est déjà autre chose. Mais les deux choses qui ont constitué la base de son projet, les deux choses qui m’ont amené à porter autant d’importance à cet homme, c’est-à-dire la fin des partis traditionnels, classiques, et la fin de la division (clivage) droite-gauche, ces deux choses sont devant nous réalisées complètement par les résultats tangibles des élections.

         Macron n’a pas seulement dit, il a aussi fait ce qu’il a dit, les résultats en témoignent. Il l’a fait, oui, mais la vérité complète est ailleurs : il a pu le faire parce que, avec ces deux positions initiales et inaugurales de sa présence dans la vie politique française et de sa candidature, il a pu toucher à quelque chose d’essentiel dans la société. Des milliers de personnes, de jeunes individus notamment, d’un âge moyen de 30 ans et d’un niveau culturel très bon, de personnes qui n’avaient aucune expérience de la pratique politique, ont été reconnues dans ces deux positions. En plus, ces personnes ont été avérées très motivées, elles se sont mobilisées de façon étonnante, elles ont combiné la tradition la plus simple des campagnes électorales, le porte-à-porte, avec le modernisme le plus aigu de tous les moyens d’informations et de communications (internet, mail, etc.).

         L’événement Macron, est vrai du point de vue de l’élection présidentielle ; mais c’est la suite qui va montrer son vrai caractère du point de vue de la société française.                        














La fin des partis traditionnels, classiques,

et la fin de la division (clivage) droite-gauche

        

Premier tour : les deux partis, traditionnels, dits de gouvernement, n’ont pas accédé au second tour. La division (clivage) classique droite-gauche, ce n’était pas au second tour non plus. On peut dire ce que l’on veut de Macron, et de Marine Le Pen encore, mais celui-ci n’est ni de droite ni de gauche, et Marine Le Pen elle-même parle d’une droite patriotique. Ceci dit, ni le clivage progressistes versus conservateurs n’a pas eu lieu au second tour, ni le clivage non plus patriotes versus nationalistes.

La présence au second tour des deux candidats, nécessairement deux, en raison du système électoral, ne signifie pas nécessairement deux positions nettement claires. Ce qui est net, c’est le rejet de Marine Le Pen.   


Note pour illustrer de manière indicative l’idée ci-dessus.

Début janvier, la leader frontiste avait considéré auprès de l’AFP qu’Emmanuel Macron ferait un adversaire idéal. « On ne peut pas rêver une confrontation aussi claire et totale sur le plan des idées », avait-elle déclaré. Interrogée par Ruth Elkrief sur le scénario d’un face-à-face avec Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen a néanmoins estimé que ce serait « encore plus clair ». « Il est pour une immigration massive et la régularisation de tout le monde. Et ça, objectivement, je pense que c’est un énorme problème pour la    France », a-t-elle jugé.       













Si on regarde les résultats à Paris, on peut dire que la capitale constitue une autre France et cela, à un moins degré, c’est vrai aussi si on observe les résultats en Île-de-France.    



Idée

Ils sont appelés abstentionnistes (même dans mail envoyé par En Marche !, le 13 juin 2013), alors qu’ils exercent un droit parfaitement justifiable et justifié : la liberté à participer ou non aux élections ou à une élection, la liberté de s’occuper ou non de la chose commune, des affaires communes. Voir Hannah Arendt, Essai sur la révolution. Voir le mot grec ancien : ο βουλόμενος ! 


          

















[1]. Domaines de l’homme, p. 224. Dans l’édition en collection de poche, p. 278.  
[2]. Voir Condition de l’homme moderne, pp. 244-245, La crise de la culture, p. 202-203 et pp. 315-317, Penser l’événement, p. 188 et p. 190.                
[3]. Je viens d’apprendre que, selon un sondage, seulement 46 % des personnes interrogées estiment que le vote aux élections est le meilleur moyen de se faire entendre. Voir Stéphane Dupont, « Les Français réclament un fort renouvellement des pratiques politiques », Les Échos, 18 janvier 2016. 
[4]. Voir mon essai Qui nous sommes et où nous allons.
[5]. Ces calculs optimistes sont sommaires, mais nullement fictifs. En effet, je prends comme base le corps électoral officiel actuel, c’est-à-dire les inscrits sur les listes électorales (45 millions), je présuppose de la façon la plus optimiste une abstention de seulement 20 %, je supprime les votes blancs et nuls comme c’est encore le cas dans la politique instituée, et je considère avec l’INSEE que la population totale de la France aujourd’hui est de 67 millions. J’ajoute pour la gloire de la « démocratie » qu’environ 5 millions de Français ne sont pas inscrits sur les listes électorales ou croient ne pas l’être. Je laisse une critique des sondages pour plus tard.    
[6]. Un homme assez politisé quand même, Daniel Cohn-Bendit, a déclaré tout récemment : « Je ne vote pas idéologiquement, je vote pour la personne la mieux placée et la faire gagner à 70 % - 30 %, je vote contre Marine Le Pen ». Un vote contre « une personne » donc, non pas un vote contre la réalité et pour le changement, mais contre Marine Le Pen. En effet, un vote pragmatique.      
[7]. En ce qui concerne ce long processus, je voudrais évoquer deux faits importants à mon avis. Déjà en 1990, un penseur politique parlait de l’« électroencéphalogramme plat » de tous les partis politiques en France, « terre classique de la politique » d’après Marx. Figures du pensable, p. 161. Le même penseur disait en 1992 :             « Encore qu’il ne faille pas non plus sous-estimer le rôle de certaines manœuvres électorales politiciennes du président Mitterrand pour faire perdre des voix à la droite traditionnelle ; grâce auxquelles les socialistes, à mon avis, vont se retrouver un de ces jours derrière Le Pen aux élections… ». Une société à la dérive, p. 128. Ce penseur est donc Cornelius Castoriadis. Sa prévision a été réalisée dix ans plus tard, en 2002 ! On verra quelle amplification prendra, dans cette élection, la distance entre Marine Le Pen et le candidat officiel du Parti socialiste Benoît Hamon.    
[8]. Voir, entre autres, Thomas Guénolé, « La bulle Macron, un matraquage publicitaire massif », sur internet. 
[9]. Macron n’a pas cependant évité l’esprit bipolaire de la vie politique traditionnelle, et propose un autre clivage, non moins insensé, entre les conservateurs et les progressistes.
[10]. Le nom officiel du « mouvement » En Marche ! est Association pour le renouvellement de la vie politique ; celui-ci a donc la forme et les statuts d’une association et revendique actuellement 200 000 adhérents, ce qui est phénoménal.  
[11]. Vaincre le totalitarisme islamique, est le titre du dernier livre de Fillon, qui a joué un rôle important dans son succès. 
[12]. Moi-même, j’ai écrit, dans un mail envoyé aux ami(e)s en Grèce, que l’intégrité de François Fillon est un élément qui a contribué à sa victoire aux primaires. J’ai des excuses. Je l’ai dit mille fois, la critique que j’adresse à la politique instituée, aux partis et aux hommes politiques, aussi exagérée qu’elle paraisse, est le plus souvent loin derrière de la réalité effective par rapport à la gravité des faits réels.   
[13]. C’est-à-dire le 20 % des suffrages exprimés que Fillon va éventuellement obtenir au premier tour, soit 15 % à peu près du corps électoral, et 10 % des inscrits. Et même si, contre toute attente, il passe au second tour, il est certain qu’il sera élu président de la République sans obtenir la majorité absolue du corps électoral.
[14]. Depuis que je vis à Paris (1986), et j’ai abandonné pour ainsi dire l’activité « politique » de militant, j’ai choisi de voir de mes propres yeux toutes les manifestations importantes. Le sujet de ma recherche sur la participation et l’apathie politiques imposait ce choix, car ma longue expérience du militantisme m’incitait à penser que les chiffres des manifestants ont toujours été multipliés par 10. Je suis allé donc voir le rassemblement de Fillon. Je donne le chiffre de 10 000. Quant à la manifestation place de la République, ce n’est pas même la peine d’en parler. Elle était insignifiante, en chiffres et en paroles.     
[15]. Voir mon essai cité dans la note 4.
[16]. Primaires de la droite et du centre ont été appelées les premières, primaires de « La belle alliance populaire », les secondes ; même les titres de ces primaires ont été truqués !
[17]. Entre autres, on a vu un journal, des plus sérieux, Le Monde, annoncer la large victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du centre avec à la une le titre suivant : La révolution conservatrice. Mais on a vu aussi le Parti socialiste truquer la participation au premier tour de la primaire qu’il organisait pour démontrer que lui aussi attire des foules.      
[18]. Inutile de dire que le paradoxe aboutit à la chose la plus logique : Hamon a corrigé jusqu’à présent deux fois sa proposition initiale.  
[19]. En d’autres pays aussi ; tout récemment, même un référendum a été organisé en Suisse sur ce sujet. 
[20]. Je me rappelle très bien que la France a été condamnée en tant qu’État par le Conseil de l’Europe pour une pratique similaire des policiers contre un trafiquant de drogue, pendant une garde à vue. Je ne crois pas qu’il a été fait mention de viol alors, mais de torture. Il s’agit donc d’une pratique policière pas aussi rare, et donc totalement condamnable comme tel. Je ne comprends pas ce que l’on gagne, quant à condamnation de l’acte, si on appelle la torture viol. On perd néanmoins quelque chose d’essentiel : l’acte apparaît comme un geste isolé d’un policier, alors qu’il s’agit d’une pratique de la police.            
[21]. Cf. l’entretien de Yassine Belattar, dans L’Obs, n° 2729, du 23 février au 1er mars 2017, pp. 50-52. 
[22]. Je laisse ce cas à part, pour le traiter dans une prochaine synthèse, tant il est lié à des manœuvres électorales et des calculs politiciens nauséabonds.
[23]. Il y a un auteur qui soutient que c’est le seul moyen pour faire bouger les choses ; j’en doute au sens que j’ai indiqué au début, il faut aussi, et en même temps, une alternative fiable, la démocratie. Voir Antoine Buéno, No Vote ! Manifeste pour l’abstention, préface de Michel Onfray, paru en février 2017.  
[24]. Les dimanches, 23 avril et 7 mai 2017, c’est le premier et le second tour des élections présidentielles. Les dimanches 11 et 18 juin 2017, c’est le premier et le second tour des élections législatives, pour l’élection de    577 députés. Un député par 125 000 habitants.
[25]. Cf. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, pp. 246-251. Dans la nouvelle édition, L’humaine condition, Quarto Gallimard, pp. 211-214. 
[26]. Voir Cornelius Castoriadis, Démocratie et relativisme, p. 98. Je prends à dessein la formulation la plus abrupte, mais il est vrai que Castoriadis a toujours gardé l’expression « démocratie directe » par opposition à      « démocratie représentative », tout en soulignant que cette dernière n’est pas une démocratie ; voir ib. Castoriadis a réservé la formulation la plus dure, et l’expression la plus forte, contre l’idée de représentation dans l’un de ses meilleurs textes politiques : « La pensée politique ». La phrase la plus sévère, la plus révélatrice de son esprit, et la plus synthétique, est la suivante : « La démocratie “représentative”, en fait négation de la démocratie, est la grande mystification politique des temps modernes. La démocratie “représentative” est une contradiction dans les termes, qui cache une tromperie fondamentale. Et de pair avec cette mystification va la mystification des élections. » Ce qui fait la Grèce, p. 299.     
[27]. Nicos Iliopoulos, « Cornelius Castoriadis et la création politique comme invention de nouvelles façons de vivre », dans l’ouvrage collectif Six auteurs de théorie politique pour le XXIe siècle, pp. 231-254.
[28]. Ce n’est pas moi qui le dit. C’est l’une des idées les plus fines que j’ai trouvées dans un livre sur ce sujet, et pour voir la finesse et le côté plaisant à la fois, voici les autres paradigmes d’oxymores similaires cités : musique militaire, banque populaire, islamisme modéré. Jean-Loup Chiflet, Dictionnaire amoureux de la Langue française, lemme « Fleurs de rhétorique », p. 260. 
[30]. Fait confirmé par les applaudissements en faveur seulement de Philippe Poutou, lors du deuxième débat télévisé entre les 11 candidats, le 4 avril 2017. J’y reviendrai.  
[31]. « Dans la cinquantaine de volumes des Œuvres complètes de Lénine, une phrase au moins restera éternellement vraie : “En politique, il n’y a que les imbéciles pour croire les autres sur parole.” ». Cornelius Castoriadis, texte « L’évolution du P.C.F. » (1977), dans le livre La société française, 10/18, 1979, p. 260.
[32]. Radio : on écoute la parole, on comprend bien les arguments de chacun. Mieux vaut pour un débat. J’ai fait après la comparaison en regardant aussi les images, les expressions des visages et les gestes.
[33]. En relisant le fameux texte de Pierre Bourdieu « L’opinion publique n’existe pas », j’ai trouvé dans celui-ci beaucoup d’éléments pertinents justifiant son objectif « de procéder à une analyse rigoureuse » du fonctionnement et des fonctions des sondages d’opinion. À Bourdieu ne plaise, l’« opinion publique » existe, mais elle n’est pas formée-formatée par les médias, omnipuissants face aux personnes idiotes, comme présuppose sa théorie déterministe. La preuve en est que cette « opinion publique » est diversifiée, divisée, fragmentée, voire morcelée en mille morceaux. Par ailleurs, l’erreur fondamentale de Bourdieu dans ce texte, et dans d’autres textes aussi, c’est de mettre au même niveau les sondages et les consultations électorales. Voir pour ce texte de 1972, Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, pp. 222-235.           
[34]. Cf. un grand texte de Castoriadis, « La polis grecque et la création de la démocratie » (1982-1983), dans Domaines de l’homme, notamment pages 293-294. Dans l’édition en collection de poche, pp. 366-367.  
[35]. Le Centre de recherches politiques de Sciences Po (anciennement Centre d’études de la vie politique française, l’acronyme CEVIPOF étant toujours employé malgré le changement de dénomination en 2003) est une unité mixte de recherche sous la tutelle de la Fondation nationale des sciences politiques et du CNRS.
[36]. Nicos Iliopoulos, Participation et apathie politiques dans la France contemporaine, 2001. Voir sur internet.
[37]. Bien que j’ai écrit, dans la note préliminaire, que j’examine avec cette deuxième synthèse la période qui va jusqu’à la fin du mois de mars, je prolonge jusqu’à aujourd’hui 12 avril cette période.  
[38]. Comme déjà dit dans la deuxième synthèse, je rappelle que le 20 mars 2017 a lieu un premier débat télévisé entre les cinq principaux candidats, suivi par au moins 10 millions de téléspectateurs, et puis le 4 avril 2017 a lieu un deuxième débat télévisé entre la totalité des 11 candidats, débat suivi cette fois par 6 millions.  
[39]. Il est vrai que ces deux « prévisions » n’apparaissent pas dans les deux premières synthèses. J’étais obligé d’être retenu. Mais, dans les notes que je rédigeais presque chaque jour, et que j’envoyais à des amis par mails, elles ont été formulées explicitement.   
[40]. La force de la formule est de Daniel Cohn-Bendit. 
[41]. Inutile de rappeler que les résultats officiels de l’élection, base de mes analyses, ont été proclamés par le Conseil constitutionnel.         
[42]. Ici les pourcentages sont peut-être nécessaires pour montrer la réalité et la démocraticité du système/régime politique : 8,6 millions représentent 12,8 % de la population totale de la France, 18,1 % des inscrits sur les listes électorales, et 23,88 % des suffrages exprimés.   
[43]. Cornelius Castoriadis, Le monde morcelé, p. 168.
[44]. Fait et à faire, pp. 65-66.    
[45]. Ces trois ouvrages sont : Le sacre du citoyen Histoire du suffrage universel en France (1992) ; Le peuple introuvable Histoire de la représentation démocratique en France (1998) ; La démocratie inachevée Histoire de la souveraineté du peuple en France (2000).   
[46]. À propos de la phrase de Pierre Rosanvallon, « Démocratie, pouvoir du peuple. », écrite entre 1992 et 1998, qu’il me soit permis de pointer la contradiction suivante. Le même auteur, dans son article « L’histoire du mot démocratie à l’époque moderne », paru en 1993, écrit : « Si la démocratie recueille maintenant sans peine la quasi-unanimité des suffrages, incarnant aux yeux de la grande majorité de nos contemporains le type de régime politique le plus désirable, sa définition est ainsi loin de susciter le même accord, dès lors, du moins, qu’on ne se contente plus des formules convenues et des paraphrases usuelles (la démocratie comme “pouvoir du    peuple”). » Cet article de Pierre Rosanvallon a été publié dans le premier et seul numéro de la revue La pensée politique, mai 1993 ; pour le passage cité, voir p. 28. C’est moi qui souligne.         
[47]. Cette affirmation : le pouvoir du peuple ne peut s’exercer de façon directe dans le monde moderne, est devenue l’axiome indémontrable, indécidable, et donc totalement arbitraire, de la pensée politique moderne, de sa composante majoritaire tout au moins. Pourquoi donc est-il comme ça ? Tous les arguments contradictoires sont présentés par Rosanvallon et d’autres encore. Mais, tous les arguments du monde ne disent rien devant le fait que l’on n’a pas essayé de mettre en œuvre la démocratie. (C’est moi qui ai mis en caractères gras les expressions dans les passages cités.)   
[48]. Selon les sondages avant le premier tour, on estimait que ce taux ne pourrait pas être supérieur de                27 %-30 %.
[49]. Entre 1981 et 2002, nous avons cinq alternances et trois cohabitations. Entre 2002 et 2017, nous avons deux alternances, avec une alternance intérieure pour ainsi dire entre Chirac et Sarkozy en 2007. Ce qui est plus clair, en ce qui concerne la période la plus proche, c’est qu’aussi bien la « rupture » promise par Sarkozy (2002-2007) que le « changement » mis en avant par Hollande (2007-2012) ont échoué terriblement.       
[50]. Marcel Gauchet, « Pacification démocratique, désertion civique », Le Débat, n° 60, mai-août 1990, p. 87.
[51]. Cornelius Castoriadis, « Quelle démocratie ? », dans Figures du pensable, p. 161. Dans ce même texte, Castoriadis écrit : « En 1960 déjà, j’écrivais sur l’absence d’imagination des “ hommes politiques ” contemporains. » Ibid.         
[52]. Voir la nécrologie de cet homme politique dans CNEWS Matin, n° 2042, du mercredi 22 mars 2017, p. 6.
[53]. Cette division reste conventionnelle, « méthodologique », durant toute mon analyse.
[54]. Je respecte absolument le droit de ces candidats de se présenter au suffrage universel. N’empêche que, à mon avis, leur candidature n’avait aucun sens – et non pas pour la raison qu’ils n’avaient aucune chance d’être élus.
[55]. Phrase d’Emmanuel Macron : « Vous pensez une seule seconde que les gens de gauche iront massivement voter François Fillon s’il se retrouve face à Marine Le Pen au second tour ? », entretien dans Le Monde, du mardi 4 avril 2017, p. 8. 
[56]. Ce débat télévisé avait ceci d’inédit : c’est la première fois qu’un candidat accédé au second tour de l’élection présidentielle avait accepté de débattre avec l’un des Le Pen. On constate donc la lourde erreur des hommes politiques qui refusaient auparavant toute confrontation directe avec le leader du FN. À ma connaissance, parmi les hommes politiques importants, seul Lionel Jospin avait accepté de faire un débat radiophonique face à Jean-Marie Le Pen. C’était le premier temps après mon arrivée à Paris, en 1987 probablement. Je me rappelle très bien que j’avais collé mon oreille contre un poste de radio transistor pour écouter ce débat unique. J’avais l’impression que Jospin a écrasé Le Pen. De toute façon, j’avais toujours l’opinion que c’est une grosse erreur des forces politiques dites républicaines de refuser le débat en face à face contre Le Pen ; comme j’avais toujours constaté leur impuissance disons idéologique à affronter les fausses idées du Front national.          
[57]. J’attire l’attention sur cette expression verbale « Je veux », assez souvent employée par Macron. C’est le mauvais (?) signe de trop de confiance à soi-même, d’un penchant autoritaire et autarchique à la fois, marque d’autosuffisance. 
[58]. L’éditorial du Monde, le lendemain du débat, portant le titre « Le visage de l’extrême droite », l’a fait remarquer à juste titre. Le Monde, 5 mai 2017. 
[59]. Je m’inspire ici des lignes suivantes de l’un des meilleurs textes de Cornelius Castoriadis : « Quant je dis que les Grecs sont pour nous un germe, je veux dire, en premier lieu, qu’ils n’ont jamais cessé de réfléchir à cette question : qu’est-ce que l’institution de la société doit réaliser ? ; et en second lieu que, dans le cas paradigmatique, Athènes, ils ont apporté cette réponse : la création d’êtres humains vivant avec la beauté, vivant avec la sagesse, et aimant le bien commun. » Cette affirmation est sous-tendue par la position connue de Castoriadis selon laquelle la société démocratique est indissociable de certaines valeurs substantives, qui doivent inspirer la vie en commun. Seule « correction » que j’apporte à cette position, c’est que je parle quant à moi des principes et non pas des valeurs.  
[60]. Pour ceux qui seraient choqués par l’idée de fabrication de l’individu, je dis seulement que l’idée, le mot littéralement : κατασκευή, se trouve chez Platon (République, 449a), qui est à mon avis la source de l’inspiration de Castoriadis.
[61]. Parmi la pléthore d’ouvrages, je cite deux : Françoise Sunbileau, Marie-France Toinet, Les chemins de l’abstention Une comparaison franco-américaine, Paris, La Découverte, 1993. Céline Braconnier, Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention, Paris, Gallimard, 2007.
[62]. Je rappelle à ce propos ce que j’ai écrit dans la note 33 de la deuxième synthèse. Une erreur fondamentale de Pierre Bourdieu, dans son fameux texte « L’opinion publique n’existe pas », c’est l’assimilation intolérable et fausse entre les sondages et les élections. Bourdieu y écrit : « En fait, ce qui me paraît important, c’est que l’enquête d’opinion traite l’opinion publique comme une simple somme d’opinions individuelles, recueillies dans une situation qui est au fond celle de l’isoloir, où l’individu va furtivement exprimer dans l’isolement une opinion isolée. » Voir pour ce texte de 1972, Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, pp. 222-235, et pour le passage cité, p. 231. La même erreur se répète dans le texte « Culture et politique », de 1980 : « Le mécanisme selon lequel s’exprime l’opinion, à commencer par le vote, est un mécanisme censitaire caché. […] Dans le cas des sondages (qui obéissent à une logique tout à fait semblable à celle du vote), on dispose des informations nécessaires pour analyser les facteurs qui déterminent cette probabilité » d’avoir une opinion. Même ouvrage, pp. 236-250, et pour le passage cité, p. 238.  
[63]. On parle de participation électorale. Ce sont les votants ; valorisés. Soit. On dit abstention pour désigner les non votants. Déjà le terme d’abstention témoigne d’un jugement de valeur péjoratif, dévalorisant, pour tous ceux qui n’ont pas voulu voter. En France, tout au moins, ils ont ce droit. Mais il y a pire. Non seulement les bulletins considérés comme nuls, mais aussi les bulletins blancs ne sont pas pris en compte au résultat final. On a inventé le terme de suffrages exprimés. Celui qui ne vote pas ou qui vote blanc ne s’exprime donc pas ; telle est la logique du système politique et du système électoral.        
[64]. En peu de mots, lecture démocratique de la société est la lecture que fait, que doit faire, celui qui vise une société démocratique et autonome. La lecture démocratique de la société implique, entre autres, la reconnaissance de la polyphonie dans les sociétés contemporaines, la compréhension de la société par l’examen de tous les aspects de la vie réelle des gens, l’idée que font partie de la société toutes les citoyennes et tous les citoyens.   
[65]. L’essentiel de ce texte a été écrit entre les dates indiquées à la fin. Je rédige pourtant ces dernières lignes le 15 août 2017, en connaissant ainsi les résultats des élections législatives du mois de juin 2017.
[67]. La question ce n’est pas du tout si j’avais raison ou pas. On parle de sondages, mais il y a aussi l’« opinion publique ». Je me demande donc comment se fait-il qu’à Paris, ville où je vis, il y a eu même des amis de moi qui disaient qu’ils entendent beaucoup de gens dire qu’ils vont voter pour Marine Le Pen. Or, à Paris précisément, Marine Le Pen a obtenu au premier tour 4,99 % des suffrages exprimés, et au second tour 10,32 %. (Voir réciproquement, Le Monde, 29 avril 2017 et 9 mai 2017.) Alors, l’ombre d’une éventuelle élection de Marine Le Pen à la Présidence de la République française, ce n’était qu’une ombre, une impossibilité foncière. L’un des éléments, parmi beaucoup d’autres, qui m’a fait écrire, dans la première synthèse, que la société française était, semble-t-il, plus désorientée que jamais.            
[68]. Voir entre autres François Ruffin, « Lette ouverte à un futur président déjà haï », Le Monde, 5 mai 2017,      p. 23. 
[69]. Entretien de Emmanuel Macron, au titre « J’ai rencontré Paul Ricœur qui m’a rééduqué sur le plan philosophique », dans l’hebdomadaire Le 1, n° 64, 8 juillet 2015.  
[70]. Dans un mail du vendredi, 19 mai 2017, envoyé par La République En Marche !, nous lisons : Nous changeons la vie politique. Maintenant, changeons la France ! 
[71]. Ce sont ses discours que je prends en considération, je n’ai rien d’autre. Voilà l’une des spécificités majeures de l’élection, toute élection : nous sommes, nous autres gens ordinaires et électeurs potentiels, devant des mots écrits (programmes) ou prononcés (discours). Point à la ligne. Ils vont nous dire qu’il y maints autres éléments sur lesquels on peut juger un candidat. Certes. Mais, en fin de compte, chaque candidat ne demande lui-même d’être jugé que sur son programme.      
[72]. Et le Premier ministre a dit après le second tour des élections législatives : « Les Français ont choisi l’espoir au lieu de la colère. » Le sentimentaliste en tant qu’analyse. La sentimentalisation de la politique instituée.
[73]. À l’instar de Marcel Gauchet, on peut employer un terme moins lourd, la sortie de la religion, non moins anodine néanmoins. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Manque de créativité politique de la collectivité

 L’apathie politique en France contemporaine Manque de créativité politique de la collectivité, absence de projets politiques positifs et gl...