Vers l’élection présidentielle de 2017 en France
Révolutions des titres et évolutions de la réalité
Interrogations : à quand la démocratie ?
Je commencerai par une très brève méditation. Comment se fait-il que les
gens continuent à voter alors que la faillite de la politique instituée est aussi
éclatante en ce moment même ? Hier encore, en mai 2012, il y a à peine cinq
ans, le slogan de campagne et de la victoire de François Hollande a été : Le
changement, c’est maintenant ! Comment se fait-il que l’on oublie aussi vite ? À
ces questions, je n’ai pas de réponse. Cornelius Castoriadis nous invite même à
ne pas nous demander ! Étant sûr que « au moyen et au travers de la formation
(fabrication) de la matière première humaine en individu social », sont
incorporés en ce dernier aussi bien les institutions elles-mêmes de la société que
les « mécanismes » de leur perpétuation, il affirme : « Ne vous demandez pas :
comment se fait-il que la plupart des gens, même s’ils avaient faim, ne
voleraient pas ? Ne vous demandez même pas: comment se fait-il qu’ils
continuent de voter pour tel ou tel parti, même après avoir été trompés de
manière répétée ? »1 Et pourtant, il faut se demander. Car, le conditionnement, à
savoir l’assujettissement à des conditions, et la co-détermination de l’individu
par les institutions de la société et ses significations imaginaires, qu’évoque
Castoriadis, ne sont ni aussi forts ni aussi marqués par le temps, dans le domaine
politique, où on attend justement, et on demande précisément, la rupture de la
perpétuation, le fameux « changement » ! Dans d’autres directions nous devons
donc orienter notre réflexion.
Quant à moi, cela fait 22 ans que j’ai écrit un texte à l’occasion de
l’élection présidentielle de 1995, qui porte le long titre « Pour une abstention
active aux prochaines élections présidentielles (institution avérée monarchique),
inaugurale d’un projet politique original » et le sous-titre « Contre l’acte de vote
pour élire une personne. Pour le droit à la décision après délibération et face à
plusieurs propositions-solutions possibles ». Depuis, et même avant, je n’ai
jamais douté un seul instant de la justesse de cette idée, je n’ai pas été tenté par
l’idée d’aller voter, et je n’ai pas cessé de réfléchir sur le comportement de mes
semblables, des gens en général et de mes ami(e)s les plus proches en
particulier. Il est vrai qu’actuellement le mépris envers la politique instituée et sa
dévalorisation aux yeux de la plupart des gens, sont reconnus explicitement,
alors que ce n’était pas le cas auparavant. Il est vrai également que l’abstention
augmente d’une élection à l’autre, quand il s’agit de toutes les élections, à
l’exception néanmoins de l’élection du président de la République. La répétition,
la perpétuation du même, est donc due, disons-le franchement, à l’absence d’une
alternative fiable. Il se trouve que cette alternative n’est rien d’autre que la
démocratie. Et cela nous amène à clore provisoirement notre méditation en
songeant à la difficulté de la chose. C’est cet absurde « Au nom du peuple » que nous devons changer. En le transformant en « Les citoyens ont décidé ... ». Le
« Au nom du peuple » correspond au régime représentatif établi, le « Les
citoyens ont décidé ... » correspond à la démocratie.
Si ce n’est pas la coercition et les sanctions, si ce n’est pas l’adhésion, le
soutien, le consensus, la légitimité, la croyance, qui « imposent » le régime
représentatif, c’est plutôt le manque d’imagination politique et l’absence de
créativité collective qui « empêchent » l’émergence de la démocratie. Il faut
surtout du courage, qui est une des vertus politiques principales, comme n’a
cessé de le répéter Hannah Arendt2. Mon étonnement, sans déception
néanmoins, est encore plus grand parce que, au fond, c’est le refus d’accepter la
valeur et la faisabilité de la démocratie que je constate même chez mes ami(e)s
les plus proches. L’égalité politique absolue de tous est acceptée depuis
longtemps pour élire. Pourquoi refuse-t-on d’accepter la même égalité pour
décider ? Les deux égalités sont de manière parfaitement égale justifiables et par
là même également faisables, réalisables, applicables.
L’objectif de ma recherche : l’état de la société française
On l’aura compris, je suis athée : je ne crois pas à la politique instituée. Mon opinion (doxa) est simple : petit est l’impact de la politique instituée sur la situation générale de la société et la vie effective des gens.3
¿ De quel point de vue donc, suis-je un observateur engagé de cette
politique, surtout pendant ses moments les plus importants ?
La participation de millions de personnes à une élection, indique quelque
chose – pas tout. Il y a de plus le débat qui précède les élections et l’ensemble de
ce que l’on désigne par « campagne pré-électorale ».
Le sujet continuel de ma recherche, c’est la situation de la société
française. Je m’interroge, plus particulièrement et au plus près de l’actualité, sur
les conséquences pour la société française des événements de 2015 et 2016, liés
au totalitarisme théocratique islamique. Car je considère que ces événements
sont principalement le fruit du sol social de la France d’aujourd’hui.4 Critère
subjectif, sans doute. Je pense cependant que c’est un critère crucial si on veut
réfléchir à ce qui tient ensemble une société et, en des termes plus simples, à ce
que l’on appelle le « vivre ensemble ».
On ne peut pas et on ne doit pas lire ces conséquences seulement à l’aune
des résultats électoraux. Cependant, ces résultats indiquent quelques orientations
générales de l’« opinion publique », quelques tendances, lourdes ou légères, qui
se forment, ou qui sont en train de se former, dans la société. Bref, ils nous
disent quelque chose de l’état des esprits de nos contemporains.
Je peux utiliser l’observation à l’œil nu, les analyses des autres ou les
miennes, les débats quotidiens, tout ce que vous voulez, pour lire la réalité
sociale actuelle. Même les dits faits divers nous enseignent beaucoup de choses
sur la société, à condition de ne pas perdre le simple bon sens dans leur analyse,
comme c’est trop souvent le cas dans l’air du temps des médias et des réseaux
sociaux, air qui est devenu tempête destructrice du sens ; à titre d’exemple, les
violences et les « viols » policiers dernièrement, qui ont fait grand bruit. (J’y
reviendrai.) Cependant, les courants souterrains de la société ne sont pas
visibles, difficilement analysables par conséquent.
Reste que les élections sont un grand moment. Je ne dévalue nullement le
choix des personnes d’aller voter, bien que je sois « abstentionniste » réitéré et
convaincu, depuis plus de trente ans, et je lutte pour la démocratie – sans
adjectif ! Modestement, je crois être un penseur politique du quotidien et,
ardemment, citoyen démocratique 24 heures sur 24 et non pas une fois tous les
5 ans ! Je n’oublie absolument pas pourtant que, en ce qui concerne les
élections, ce sont les chiffres absolus que nous devons lire et prendre
attentivement en compte, beaucoup plus que les pourcentages qui sont devenus
l’autre tempête du mensonge et des illusions. La formule journalistique et
politicienne : « le peuple français a décidé ceci, le peuple français a dit cela »,
n’est pas la mienne. Et je récuse fortement cet esprit. Je ne me lasserai jamais de
répéter que les sociétés sont devenues telles aujourd’hui – ou par ailleurs elles
ont été toujours ainsi –, dans la pluralité humaine incontournable, qu’un courant
politique, ou un courant de pensée, ne peut « représenter » pas plus qu’une partie
minime de la population totale, et c’est bien ainsi dans un esprit démocratique,
pluraliste, de compréhension et de lecture de la société. Par exemple, les 25 %
d’un résultat électoral, en France actuellement, correspondent en chiffres
absolus à 9 millions de suffrages exprimés, soit 20 % du corps électoral officiel,
et seulement 14 % de la population totale.5 On peut prendre le « pouvoir » avec
un tel pourcentage, mais comment peut-on prétendre qu’un tel résultat
représente la société ?6 Encore moins qu’il lit sagement et élucide la réalité ? Et
pourtant, c’est « Au nom du peuple », nous dit-on.
Première synthèse, deux mois auparavant
Je préviens le lecteur exigeant que ce qui suit n’est pas un pronostic. Les
pensées éparses et mal rangées qu’il va lire, constituent un effort
d’éclaircissement d’une situation qui est confuse dans sa complexité et qui devient confuse tout court par les analyses existantes. Je présenterai mes points
de vue qui divergent de ces analyses, en cherchant la spécificité de cette élection
et en signalant la perte de bon sens qui caractérise souvent l’interprétation des
faits. Enfin, je le dis, quand bien même cela semble évident, je parle en mon
nom propre et sous ma propre responsabilité, car le « Au nom du peuple »
appartient aux candidats et aux « représentants ».
La spécificité de cette élection et ses éléments
J’ai commencé à écrire ce texte le 21 février 2017. Bien qu’il soit destiné
à être bref, après 19 jours, je ne l’ai pas encore fini. Mis à part les insuffisances
de l’auteur, cela est dû à ce que tout le monde dit, c’est-à-dire que l’on est
toujours dans une période d’imprécision et d’incertitude. Mais n’est-ce pas le
cas pour toute élection ? D’autres disent, l’esprit léger ou pauvre et la mémoire
courte, que l’on n’était jamais en France dans une élection présidentielle aussi
imprécise, incertaine. Et alors, qu’en est-il de 1981 ? Des spécificités existent
pour cette élection présidentielle, mais elles sont autres.
Deux événements ont jusqu’à présent jalonné la voie vers l’élection
présidentielle de 2017. Imprévisibles et inattendus aussi bien l’un que l’autre, ils
pourraient laisser leurs traces sur la vie politique française pendant longtemps.
Pour le meilleur et pour le pire. La perte de bon sens se présente néanmoins à
presque tous les éléments qui préparent la phase finale de cette élection.
La création ex nihilo d’un nouveau « mouvement politique »
La spécificité la plus marquante de cette élection de 2017, du point de vue
de la politique instituée, est la suivante : comme résultat d’un long processus7,
mais aussi de la présence d’un seul homme, indépendamment de sa propre
valeur et surtout de son évolution, forcement inconnue, la marche vers cette
élection a fait éclater le système des partis dits de gouvernement, c’est-à-dire le
parti Les Républicains de la droite traditionnelle républicaine et le Parti
socialiste, principal parti de la gauche. Du coup, même la division traditionnelle
droite-gauche est embrouillée, pour ne pas dire qu’elle est devenue insignifiante.
Cet éclatement est devenu évident avant même les phases importantes de
la campagne pré-électorale, par la création d’un nouveau « mouvement
politique ». Celui-ci a été baptisé En Marche !, mais les lettres manuscrites de ce
logo accompagnées par un nom Emmanuel Macron, de mêmes initiales,
indiquent clairement qu’un homme a pris l’initiative et qu’il veut être le chef
incontestable de ce « mouvement ». À son actif, on doit reconnaître le fait qu’il
a vu le kairos, le moment opportun, de la faillite presque totale des partis et de l’obsolescence du clivage droite-gauche. Dès le premier jour de l’annonce de la
fondation de son « mouvement », le 6 avril 2016, Macron a parlé aussi bien des
partis classiques ou traditionnels qui ne peuvent plus répondre aux exigences de
la réalité que du dépassement du clivage droite-gauche par cette même réalité.
Ce fait rend caduques toutes les critiques, inspirées de la théorie du complot,
adressées à Macron. Ou tout au moins les critiques qui parlent d’une
organisation et d’une préparation où tout est au millimètre prévu par avance.
Sans ces deux éléments, c’est-à-dire le constat opportun du vide que laissent
l’impuissance et le mépris de tous les partis – constat qui est avéré juste a
posteriori, constat donc risqué et pas assuré d’avance –, et le constat de
l’obsolescence du clivage droite-gauche – par contre ce constat a été fait depuis
longtemps par d’autres, sauf que personne n’a osé le mettre en application –,
sans ces deux éléments, la démarche de Macron perd tout intérêt. Même s’il est
soutenu par des grands ou des puissants, connus ou inconnus ou mystérieux,
même s’il a pu profiter d’une aide financière importante, par qui que ce soit,
même s’il a bénéficié d’une couverture médiatique exceptionnelle et
disproportionnée8, tout cela ne pourrait avoir servi à rien sans le fondement de
son initiative au bon moment sur le mépris des partis et l’obsolescence du
clivage traditionnel droite-gauche9.
On ne peut pas négliger non plus le fait incontestable que l’initiative de
Macron ait rencontré dès le premier moment une adhésion considérable d’un
large public notamment jeune. Cet élément factuel réfute davantage la thèse
selon laquelle tout est affaire de médias dans l’ascension fulgurante du
« mouvement » En Marche ! D’autant plus que les adhérents au « mouvement »,
jeunes surtout, ont réalisé dès mai 2016 une « Grande Marche » vers la société
française pour recenser les pensées et les attentes de la population. On ne sait
pas quelles sont exactement les structures du « mouvement », son mode de
fonctionnement, si par exemple il est démocratique ou pas, mais on sait une
position originale de son créateur : membres du « mouvement » peuvent être des
adhérents d’autres partis politiques.10
C’est le moment de le dire, le livre d’Emmanuel Macron, paru le
24 novembre 2016, porte pour titre Révolution, et un mot sépare la « Grande
Marche » d’une autre marche ; le vocabulaire de Macron n’est ni avare ni
peureux de mots révolutionnaires – sans substance?, cela est une autre
discussion.
J’aime comparer ce que j’ai vu venir et ce que je n’ai pas vu. Je mesure
donc ... mon propre aveuglement. À l’occasion de la rédaction d’un texte
exigeant, évoqué à la note 4, à l’horizon de l’élection présidentielle, j’ai vu venir
la recomposition de la vie politique française. « Vie politique française »
– vocabulaire conventionnel, bien entendu –, cela signifie les forces et les hommes politiques. Mais, je n’ai pas imaginé l’effondrement des deux partis
classiques ou traditionnels de gouvernement.
Le deuxième événement marquant c’est l’affaire Fillon, révélée après sa
victoire aux primaires de la droite et du centre.
Le non-sens de la victoire et de la candidature Fillon
Sur ce que je cherche spécialement, c’est-à-dire les conséquences à court
terme pour la société française des événements liés au totalitarisme théocratique
islamique, j’ai cru que j’ai eu une première indication par la victoire de Fillon
aux primaires de la droite et du centre : l’aile la plus droite de la droite, habillée
en plus de la couleur religieuse du catholicisme – qui pourrait devenir
majoritaire par le pervers système électoral seulement, bien entendu –, souhaite :
une dure politique économique pour que le pays soit sauvé de la « faillite »
(expression très ancienne de Fillon), une politique de pureté plutôt que
conservatrice en matière de mœurs pour assurer son identité (enracinée selon
Fillon dans un passé très lointain) et pour combattre ainsi durement et
efficacement le totalitarisme islamique11. Bref, j’ai compris qu’une frange de la
population, dont il restait de mesurer l’ampleur réelle aux élections proprement
dites (pas aux primaires!), choisit l’affrontement en quelque sorte sur la
question des djihadistes, le repli sur la dite identité nationale, et elle accepte une
politique économique d’« austérité ». Il n’en est rien, car ce qui a été appelé
Penelogate a tout « gâché », et on ne verra probablement pas le poids réel des
idées de Fillon dans la société, ainsi que l’application de son programme
intransigeant.
De graves questions se posent néanmoins sur le sujet des emplois fictifs
de l’épouse et des enfants de Fillon. Et notamment celle de la perte de bon sens,
qui va avec la perte de sens tout court, la fameuse insignifiance, dans les sociétés
occidentales contemporaines. Tout le monde a parlé des faits. Peu de personnes
ont posé la question : à qui profite le « crime », autrement dit, qui avait intérêt à
révéler cette affaire concernant Fillon ? Or, personne, à ma connaissance, n’a
soulevé cette question simple : comment se fait-il que cette affaire n’a pas été
révélée plus tôt ? Comment se fait-il que des journaux sérieux et des journalistes
chevronnés parlaient, juste quelques jours avant la révélation du scandale, de
l’intégrité incontestable de l’homme politique Fillon ? On doit même ajouter
que presque tous les journalistes et les analystes reconnaissaient comme un
élément décisif de la large victoire de Fillon aux primaires le fait qu’il était un
homme politique de la droite qui n’a jamais été accusé de corruption et mis en
examen, contrairement aux deux autres principaux prétendants, Alain Juppé et
Nicolas Sarkozy.12 De deux choses l’une, ou bien une partie ou la totalité de la
classe politique et des journalistes, et même des juges, connaissaient ces faits et ils les cachaient soigneusement, ou bien ils sont incompétents. Dans tous les
deux cas, des questions encore plus graves se posent.
Il faut insister sur l’élément important suivant. Sauf fait du pur hasard, ce
qui est improbable quand même dans les affaires de ce type, la personne – ou les
personnes – qui a révélé les emplois fictifs organisés par Fillon, a choisi le
temps de cette révélation. Probablement, parce que cette personne ne croyait pas
à la victoire de Fillon aux primaires. Il s’agit donc d’une accusation ad hoc et
ad hominem à la fois, et non pas d’une révélation inspirée par le respect des
principes ; c’est contre un homme et pour servir une cause spécifique que l’on a
fait ça et non pas pour défendre les principes. Car, si c’était pour le respect des
principes, la personne aurait révélé les faits bien avant, ou tout le moins avant
les primaires de la droite et du centre. Elle ne l’a pas fait. Donc, la révélation
visait à rendre impossible l’élection de Fillon en tant que président de la
République, en négligeant les conséquences que cela pourrait avoir pour cette
élection et les institutions politiques en général. (Attention, je ne dis pas qu’il ne
fallait pas faire la révélation, je m’interroge seulement sur ses motifs et ses
visées vu le temps choisi.) Et pourquoi donc rendre impossible l’élection de
Fillon comme président de la République ? En raison de son programme
économique ? De sa détermination apparente ? Qui le dira ?
La corruption des élus
On saura les conséquences réelles de l’éclatement du système des partis
de gouvernement à l’issue de cette consultation importante qu’est l’élection
présidentielle, à l’issue des élections législatives du mois de juin, et dans
l’avenir proche. On saura, en même temps, l’impact au plan électoral de la
création du « mouvement politique » En Marche !, et le sort de son fondateur.
On sait pourtant, dès à présent, que l’affaire Fillon, depuis sa révélation, a
imposé comme presque unique sujet du débat la corruption des élus (« élites »).
Deviendra-t-il, ce sujet, le principal objet de la campagne ? De toute façon, ce
sujet a gâché la fête. Petites ont été pourtant, le dimanche 19 février 2017, les
manifestations à Paris et en d’autres villes de France contre la corruption des
élus. Dans « le renouvellement de la vie politique », visée hautement affichée
par le « mouvement » En Marche !, dont la création constitue l’une des
spécificités marquantes de cette élection présidentielle, a pénétré la corruption
perpétuelle des élus, cette spécificité seconde, et la complexité de la chose
devient plus grande. J’ose le dire, moi l’abstentionniste, si Macron l’emporte
aux élections, et à condition que celui-ci soit non corrompu, comme il paraît
pour le moment, la victoire sera double : contre le système archicorrompu des
deux partis et contre le système archicorrompu des Le Pen. Si, par contre, la
corruption aurait été aussi l’invitée de Macron et de son « mouvement », alors ce
serait le Tartare pour les bénévoles, les jeunes surtout, de En Marche !
Soulignons ce fait très important qui est passé presque inaperçu dans la
tempête qu’a provoquée l’affaire Fillon. Marine Le Pen, et son parti par
excellence « anti-système », avec les « mains propres » par opposition aux
mains sales des autres partis, trempe dans la corruption aussi. Chose plus grave
encore, les accusations contre Marine Le Pen concernent des faits beaucoup plus graves que les faits reprochés à Fillon et à sa femme. Et on a entendu des
journalistes et des analystes politiques dire qu’ils commencent à comprendre
que le Front national est un parti comme tous les autres, ce que j’ai écrit depuis
au moins 1995. Et j’écrivais alors aussi pourquoi les autres partis ne peuvent pas
et ne veulent pas voir et reconnaître cette simple vérité : car justement s’ils
l’avaient fait, ils auraient reconnu automatiquement leur vrai caractère, comme
des partis hautement antidémocratiques, dont la seule chose qui les distingue du
FN c’est certaines idées rejetables. Pourtant, novembre 2015, Hollande a déjà
fait sienne une idée du FN, la déchéance de nationalité, erreur qui lui a coûté sa
propre déchéance.
Fait davantage important, avec des conséquences incalculables : François
Fillon a abandonné sa position initiale, selon laquelle il se retirerait de la
compétition s’il était mis en examen, pour adopter la position suivante : seul le
suffrage universel va résoudre le problème. Seul juge « le peuple », donc.13
Après cette prise de position, plusieurs voix dans son propre camp se sont
élevées pour demander que Fillon démissionne de sa candidature. En vain.
Fillon a revendiqué, encore une fois, sa légitimité provenant des primaires, mais
ce qui a joué le rôle décisif c’est le fait que le parti des Républicains n’avait pas
une solution alternative ou il ne voulait pas en trouver. En utilisant de surcroît
une légitimité orchestrée provenant d’un piètre rassemblement à Paris, place du
Trocadéro, le dimanche 5 mars, dans le contexte du danger d’implosion du parti
des Républicains, Fillon a pourtant « gagné » et il sera candidat même en étant
mis en examen. Son élection à la présidence de la République, peu probable
néanmoins, ce sera la honte pour la société française tout entière.
Le rassemblement du dimanche 5 mars 2017, à Paris, sur la place de
Trocadéro, initialement se voulait « contre le coup d’Etat des juges », pour se
transformer par la suite en un rassemblement de soutien à la candidature de
François Fillon. Il est étonnant que l’actuel président de la République, François
Hollande, qui a renoncé à être candidat à sa succession, selon la formule
consacrée, une première pour la Ve République, est intervenu pour la première
fois à la campagne pré-électorale, juste après l’annonce de ce rassemblement et
a déclaré depuis la Corse où il était en visite : « J’appelle à la responsabilité. Ce
n’est plus acceptable. Je déplore profondément cette mise en cause
insupportable de la vie démocratique dans notre pays, cette interpellation par la
rue de notre démocratie fondée sur la séparation des pouvoirs. » Je souligne les
grands mensonges. Quant à l’expression « par la rue », là, Monsieur le président
de la République – qui ne signifie nullement démocratie mais notre régime ! –
dérape complètement, mais complètement. Qui a dit que le droit de manifester
dans la rue, et même d’imposer par la rue, n’est pas une conquête franchement
démocratique ?
Le même président n’a rien dit pour la manifestation d’un autre dimanche,
du 19 février 2017, qui avait le même sujet mais ... à l’inverse. Par ailleurs, plusieurs appels ont été diffusés pour une contre-manifestation contre la
corruption des élus et « pour le respect du peuple, de la justice et de la presse »,
le même dimanche, 5 mars 2017, place de la République à Paris, parallèlement
au rassemblement en soutien à François Fillon place du Trocadéro.14 La
première édition de ce mouvement anticorruption, qui se revendique « citoyen,
pacifique, déclaré non partisan, non récupéré par un parti ou une organisation,
égalitaire et revendicatif », s’est tenue le 19 février. Il a ensuite décidé de se
réunir tous les dimanches à 15h00. Ainsi, la « guerre civile » en France, que les
spécialistes avertis de l’intégrisme islamique, tel un Kepel15, attribuaient comme
objectif à l’État islamique et craignaient tant, aura lieu pour d’autres raisons, en
caricature et comme farce, pour des raisons futiles partisanes des deux partis qui
dominent la vie politique française depuis des lustres.
Conclusion, la société française semble plus désorientée que jamais. Cette même société a réussi cependant à casser les partis politiques qui dominaient la vie politique depuis plus d’un demi-siècle. Mais n’exagérons pas, la situation vire vite vers la normalité.
La normalité de cette élection et ses éléments
Revenons donc à la réalité prosaïque, à la normalité d’une élection
présidentielle.
Élections primaires
Les deux partis dits de gouvernement, Les Républicains et le Parti
socialiste, ont organisé des élections dites primaires pour désigner qui de leurs
personnalités éminentes sera leur candidat à l’élection présidentielle.16 Pour le
parti de la droite, c’était la première fois, pour les socialistes la cinquième (1995
Jospin, 2002 Jospin, 2007 Royal, 2012 Hollande, pour les élections
présidentielles précédentes, en indiquant aussi le victorieux à chaque fois). Mais
il y a eu nouveauté : les primaires pour l’élection présidentielle de 2017 ont été
complètement ouvertes à tous les électeurs inscrits sur les listes électorales. Ce
qui dit l’impuissance de ces partis à régler de l’intérieur les « querelles de
clans ».
Antidémocratiques et sans substance, ces primaires se sont également
avérées complètement trompeuses. Il s’agissait réellement d’un règlement de comptes entre cliques des deux partis qui s’alternent au gouvernement de 1958 à
aujourd’hui. Pourquoi ? Un parti c’est un parti, il a un programme, certains
disent une idéologie aussi. Un candidat aux élections présidentielles qui provient
donc d’un parti, doit avoir et présenter un programme particulier, mais dans le
cadre du programme général du parti. On n’a pas vu cela aux primaires. On a vu
exactement le contraire, dans les deux cas. Puis, la définition floue, comme ce
n’est pas possible, du corps électoral : une signature et 2 euros pour la droite,
une signature à 1 euro, pour le Parti socialiste ! Le résultat ? Là on a tout et on a
tout vu.17
Les programmes des candidats
En ce qui concerne les programmes, on doit tout d’abord dire que la
critique adressée à Emmanuel Macron, suivant laquelle ce dernier n’aurait pas
de programme, n’a pas de raison d’être. L’atavisme des gens est parfois
surprenant, phénoménal. Un a dit : « Macron n’a pas de programme », tous
répètent la même chose ! Le concerné a répondu lui-même : « J’ai un projet. »
Oui, c’est ça plutôt l’élection présidentielle en France. Mais il y a un autre point
aussi important sinon plus : qui a respecté son programme parmi tous ceux qui
ont été élus présidents de la République française ? Entre temps, Macron a
« enfin » révélé son programme millimétré. Rien à dire sur cette affaire
désormais. On constate que le projet devient énumération banale des mesurettes,
ce qui est fatalement un programme pré-électoral. La séduction par la nouveauté
de la démarche perd quelque chose de son charme.
Une idée « neuve » a été la proposition de Benoît Hamon pour le revenu
universel. Mais, la majorité de son parti est contre cette proposition ! Voilà
encore un paradoxe des primaires.18 À part d’autres considérations au plan de la
substance et de la faisabilité de cette proposition, qui existe dans le débat public
en France19 depuis au moins une vingtaine d’années, la seule solution envers le
dit chômage, qui est en fait manque de travail et refus de travailler sous
n’importe quelles conditions, c’est à mon sens le partage de travail. La question
n’est pas « société du travail » (Valls et Macron) contre « raréfaction du travail »
(Hamon), la question est ce que l’on veut faire avec le travail. Et on doit
discuter : la finalité ou les finalités principales de la société, la valeur et la place
du travail dans la vie réelle des gens, le contenu du travail, la démocratie dans
les lieux du travail. On travaille pour consommer, et il faut donc un revenu
universel pour soutenir le fameux pouvoir d’achat, ou on travaille pour une vie
libre et autonome pleine de sens, d’amitiés, d’éros, de culture, d’action, d’esprit
écologique, même si elle est frugale ?
La réforme constitutionnelle vers la VIe République, première proposition
du programme de Jean-Luc Mélenchon, ne passe pas non plus comme sujet d’un vrai débat. Un problème politique par excellence, la question du régime
politique, ne fait partie des préoccupations principales ni des politiciens ni des
« citoyens ». Il faut revenir sans cesse sur ce sujet, mais j’exprime dès
maintenant mes doutes sur la démocraticité des propositions de tous les
candidats qui proposent l’instauration d’une VIe République.
Le débat public
On ne sait pas quels sont les sujets qui prédominent et surtout s’ils sont en
correspondance avec la réalité, la situation effective du pays, et les attentes des
gens, qui sont des votants, même pas électeurs. Citoyens ? Ils ne le sont pas
encore ! Vont-ils le devenir ? Quand ? Comment ?
Le débat est foutu, tout au moins jusqu’à présent. On en sait la cause.
Mais, c’est une cause ou un « prétexte » ? La cause immédiate, pour ainsi dire,
c’est la découverte d’un scandale. Mais, au fond, se trouve l’état de la politique
instituée dont fait partie inexorable le parti politique du candidat Fillon.
Pourtant, même si le grand cafouillage du débat est venu de l’affaire Fillon, et de
la politique instituée, la société n’a pas pu réagir efficacement pour renverser
cette situation.
Pour finir cette modeste synthèse, je voudrais néanmoins mentionner une
autre affaire où la perte de bon sens apparaît aussi. Cette affaire vient de la
réalité triste et insupportable du terrain. Il a été appelé viol, la violence inouïe et
inacceptable de l’enfoncement dans le cul d’un jeune homme des banlieues
d’une matraque par un jeune policier.20 Le viol présuppose quand même le
plaisir d’organe du violeur – bien que l’homme, l’être humain, a transformé,
altéré, le plaisir d’organe en plaisir de représentation. Pour le policier qui a
commis cet acte abominable, on peut dire qu’il a voulu humilier à outrance le
jeune homme, faire en acte ce que disent les paroles : « Je te nique », mais on ne
peut parler de plaisir sexuel, sauf sado. Cette affaire est un bon exemple de
désorientation du débat : au fond, il y a la situation des banlieues aucun doute là-
dessus21. Discutons donc cette situation.
Ce que j’ai appelé la tempête du temps médiatique et réseau-social (des
réseaux sociaux) donne le résultat suivant : un fait divers monte en un instant, il
y a un héros et un anti-héros ou un contre-héros, et puis, à l’instant suivant,
rien ! La même tempête peut cacher d’autres faits importants, l’affaire Fillon a
mis au deuxième plan l’affaire Marine Le Pen et a complètement éclipsé le
truquage de participation au premier tour des primaires du Parti socialiste.
Les sondages ou les enquêtes électorales
Des points de vue du débat public et des primaires, on a tous les éléments
pour juger, et constater une situation plutôt irrémédiable et irréversible. Du point
de vue des pronostics (sondages pris en compte, mais pas seulement), on sait quelles possibilités s’offrent. Avec difficulté on pourrait dire que sauf les
couples Le Pen-Macron ou Le Pen-Fillon, un autre couple pourra accéder au
second tour. Tout est possible, nous disent-ils, et les sondages se trompent. Oui,
mais l’essentiel de la vie politique française est là. On ne peut pas dire que le
candidat socialiste sera au second tour, bien que l’on puisse pas exclure
complètement le cas d’une candidature unique de la gauche.22
Ce qui me tétanise de plus, c’est la phrase suivante, journalistique puis
politicienne puis très populaire : « On a gagné parce qu’on a pris tant (par
exemple 5 %), alors que les sondages nous donnaient tant (par exemple 4 %). »
Ou: « Dans la surprise générale, notre candidat l’a emporté malgré les
sondages. » Aussi bien la base que le critère de la « surprise » sont encore les
sondages. Les raisons et les causes du résultat sont abandonnées, jetées aux
orties. Les sondages en politique sont devenus une façon de raisonner et de
penser. C’est ça qui est grave, beaucoup plus que les considérations sur la
justesse ou non des pronostics.
Nouveaux éléments marquants ou en évolution
Depuis que j’ai commencé à rédiger cette première synthèse, il y a 20
jours, beaucoup de nouveaux éléments se sont ajoutés sur le chemin vers
l’élection présidentielle. Je me limiterai à signaler les plus marquants et ceux qui
sont en évolution. Je commencerai à rédiger une deuxième synthèse le 21 mars,
jour qui fixera définitivement les candidats.
a) L’alliance de Macron avec François Bayrou. On doit évoquer que le
point le plus important de cette alliance est le projet de « moralisation de la vie
politique ». Quel est le contenu de l’alliance en matière de députés et surtout de
composition du prochain gouvernement ? On l’ignore. Macron a déclaré à la
radio RMC que Bayrou lui-même a dit qu’il ne veut pas être son Premier
ministre. Reconnaissons néanmoins que, par cette « alliance » avec un leader
honnête – on sait jamais – mais traditionnel, Macron a perdu un peu le blason, le
charme, de la nouveauté, bien qu’il reste cohérent avec sa position d’avoir en
tant que membres de En Marche !, des adhérents d’autres partis. b) Le ralliement
du candidat écologiste, Yannick Jadot, à Hamon. Tous les analystes remarquent
l’effacement de Hamon en raison des négociations. Hamon a perdu, semble-t-il,
des points au lieu d’en gagner. c) La procédure judiciaire concernant Fillon,
mais aussi Marine Le Pen et son parti. Fillon se présentera le 15 mars devant les
juges et il sera peut-être mis en examen. Marine Le Pen refuse de se présenter.
Affaires à suivre. d) L’éventualité d’une candidature unique de la gauche. Cette
candidature paraît impossible – sauf pour le Parti communiste qui diffuse par un
tract un appel à l’unité, qui cache difficilement des manœuvres électorales.
L’impossibilité provient du fait que l’enjeu capital c’est le bilan du
gouvernement sortant. e) Les incidents pendant les réunions des candidats. Ils se
généralisent en quelque sorte ; après les protestations contre Fillon, il y a eu des protestations pendant les meetings de Macron et de Marine Le Pen. Ce n’est pas
un élément qui aide à la démocratisation du débat public et à sa qualité.
Ajoutons l’appel d’insoupçonnable Daniel Cohn-Bendit en faveur de
Macron, ou plutôt sa déclaration qu’il votera Macron pour des raisons
pragmatiques. Entre temps, des hommes politiques de tout horizon ont déclaré
leur soutien à Macron.
Je dois parler de l’abstention. Sur les 45 millions d’inscrits aux listes
électorales, voteront tout au plus 33 millions. Ne voteront pas 12 millions
d’inscrits auxquels on doit ajouter les 5 millions de non-inscrits. En somme
17 millions. C’est beaucoup.23 Et les pourcentages ne disent rien, rien ne résout
cette question de démocraticité du régime politique établi, qui reste une
oligarchie élective, constitutionnelle.
Enfin, l’élément qui doit désormais attirer notre attention, c’est les
élections législatives qui décideront de la majorité à l’Assemblée nationale.24
Retour à ma question du début : l’état de la société française
La réponse ne peut être que provisoire, et peut-être à jamais dans les ta
tôn anthrôpôn pragmata (les affaires humaines, de Platon).
La société préfère orienter le débat sur les terres classiques de la politique
instituée, malgré les déclarations de Macron, terres des partis que lui-même a
appelés « classiques » et « traditionnels ». Macron, qui a le mérite de contribuer
à la cassure de ces partis de gouvernement, est ainsi le récupérateur de ceux qui
n’avaient pas avant lui pour qui voter. Si on s’interroge sur mon sujet de
prédilection, à savoir l’évolution de la décomposition de la chaîne religion-
famille-éducation-travail, tous les candidats ne proposent que des mesurettes.
Sur le travail, sujet capital dont dépendent en partie tous les autres chaînons de
la chaîne bien reliée, Macron c’est aussi celui qui veut sauver la valeur
« travail ». Peut-être, il arrivera à diminuer un peu le chômage, mais il ne pourra
d’aucune manière résoudre le grand problème de la perte de sens du travail et de
la place du travail dans la société, moins encore dans la vie réelle des gens. Par
là même, ni lui ni la politique instituée n’arriveront à mettre en cause le
productivisme et l’une des poussées principales de la société moderne, à savoir
la croissance pour la croissance.
Le changement donc que cette élection présidentielle apportera, si un
changement survient, sera limité seulement au niveau de la politique instituée.
Pas de « révolution » pour l’instant, malgré les titres des livres et des journaux.
Je pourrais tirer néanmoins un élément qui provient d’autres de mes
observations et qui illustre peut-être une tendance historique : la société, à
l’heure actuelle, ne veut pas les affrontements durs. Elle préfère le calme et l’insouciance. Elle ne se passionne pas pour la chose publique, elle est devenue
athée en politique instituée, sans horizon pour autant.
Un climat de compromis, d’hypocrisie, d’évitement, de demi-mesures, de
résignation, un climat de platitude. Même l’élection de Marine Le Pen paraît
s’inscrire dans le courant des choses, comme quelque chose de normal, aussi
contradictoire que cela puisse paraître. Et chose beaucoup plus étonnante, cette
logique se présente dans des milieux de gens de la gauche ! Malgré tout cela, la
défaite de Marine Le Pen paraît la chose la plus probable.
Comme je l’ai déjà dit, on a vu un journal, des plus sérieux, Le Monde,
annoncer la large victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du
centre avec à la une le titre La révolution conservatrice. Le livre d’Emmanuel
Macron porte aussi le titre Révolution. Où est la révolution dans tout cela ? On
l’a déjà dit : perte de bon sens et de sens tout court. Le sens de la démocratie
reste intact.
nicos iliopoulos
Paris, 21 février - 12 mars 2017
Notes
1. Domaines de l’homme, p. 224. Dans l’édition en collection de poche, p. 278.
2. Voir Condition de l’homme moderne, pp. 244-245, La crise de la culture, p. 202-203 et pp. 315-317, Penser l’événement, p. 188 et p. 190.
3. Je viens d’apprendre que, selon un sondage, seulement 46 % des personnes interrogées estiment que le vote aux élections est le meilleur moyen de se faire entendre. Voir Stéphane Dupont, « Les Français réclament un fort renouvellement des pratiques politiques », Les Échos, 18 janvier 2016.
4. Voir mon essai Qui nous sommes et où nous allons.
5. Ces calculs optimistes sont sommaires, mais nullement fictifs. En effet, je prends comme base le corps électoral officiel actuel, c’est-à-dire les inscrits sur les listes électorales (45 millions), je présuppose de la façon la plus optimiste une abstention de seulement 20 %, je supprime les votes blancs et nuls comme c’est encore le cas dans la politique instituée, et je considère avec l’INSEE que la population totale de la France aujourd’hui est de 67 millions. J’ajoute pour la gloire de la « démocratie » qu’environ 5 millions de Français ne sont pas inscrits sur les listes électorales ou croient ne pas l’être. Je laisse une critique des sondages pour plus tard.
6. Un homme assez politisé quand même, Daniel Cohn-Bendit, a déclaré tout récemment : « Je ne vote pas idéologiquement, je vote pour la personne la mieux placée et la faire gagner à 70 % - 30 %, je vote contre Marine Le Pen ». Un vote contre « une personne » donc, non pas un vote contre la réalité et pour le changement, mais contre Marine Le Pen. En effet, un vote pragmatique.
7. En ce qui concerne ce long processus, je voudrais évoquer deux faits importants à mon avis. Déjà en 1990, un penseur politique parlait de l’« électroencéphalogramme plat » de tous les partis politiques en France, « terre classique de la politique » d’après Marx. Figures du pensable, p. 161. Le même penseur disait en 1992 : « Encore qu’il ne faille pas non plus sous-estimer le rôle de certaines manœuvres électorales politiciennes du président Mitterrand pour faire perdre des voix à la droite traditionnelle ; grâce auxquelles les socialistes, à mon avis, vont se retrouver un de ces jours derrière Le Pen aux élections... ». Une société à la dérive, p. 128. Ce penseur est donc Cornelius Castoriadis. Sa prévision a été réalisée dix ans plus tard, en 2002 ! On verra quelle amplification prendra, dans cette élection, la distance entre Marine Le Pen et le candidat officiel du Parti socialiste Benoît Hamon.
8. Voir, entre autres, Thomas Guénolé, « La bulle Macron, un matraquage publicitaire massif », sur internet.
9. Macron n’a pas cependant évité l’esprit bipolaire de la vie politique traditionnelle, et propose un autre clivage, non moins insensé, entre les conservateurs et les progressistes.
10. Le nom officiel du « mouvement » En Marche ! est Association pour le renouvellement de la vie politique ; celui-ci a donc la forme et les statuts d’une association et revendique actuellement 200 000 adhérents, ce qui est phénoménal.
11. Vaincre le totalitarisme islamique, est le titre du dernier livre de Fillon, qui a joué un rôle important dans son succès.
12. Moi-même, j’ai écrit, dans un mail envoyé aux ami(e)s en Grèce, que l’intégrité de François Fillon est un élément qui a contribué à sa victoire aux primaires. J’ai des excuses. Je l’ai dit mille fois, la critique que j’adresse à la politique instituée, aux partis et aux hommes politiques, aussi exagérée qu’elle paraisse, est le plus souvent loin derrière de la réalité effective par rapport à la gravité des faits réels.
13. C’est-à-dire le 20 % des suffrages exprimés que Fillon va éventuellement obtenir au premier tour, soit 15 % à peu près du corps électoral, et 10 % des inscrits. Et même si, contre toute attente, il passe au second tour, il est certain qu’il sera élu président de la République sans obtenir la majorité absolue du corps électoral.
14. Depuis que je vis à Paris (1986), et j’ai abandonné pour ainsi dire l’activité « politique » de militant, j’ai choisi de voir de mes propres yeux toutes les manifestations importantes. Le sujet de ma recherche sur la participation et l’apathie politiques imposait ce choix, car ma longue expérience du militantisme m’incitait à penser que les chiffres des manifestants ont toujours été multipliés par 10. Je suis allé donc voir le rassemblement de Fillon. Je donne le chiffre de 10 000. Quant à la manifestation place de la République, ce n’est pas même la peine d’en parler. Elle était insignifiante, en chiffres et en paroles.
15. Voir mon essai cité dans la note 4.
16. Primaires de la droite et du centre ont été appelées les premières, primaires de « La belle alliance populaire », les secondes ; même les titres de ces primaires ont été truqués !
17. Entre autres, on a vu un journal, des plus sérieux, Le Monde, annoncer la large victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du centre avec à la une le titre suivant : La révolution conservatrice. Mais on a vu aussi le Parti socialiste truquer la participation au premier tour de la primaire qu’il organisait pour démontrer que lui aussi attire des foules.
18. Inutile de dire que le paradoxe aboutit à la chose la plus logique : Hamon a corrigé jusqu’à présent deux fois sa proposition initiale.
19. En d’autres pays aussi ; tout récemment, même un référendum a été organisé en Suisse sur ce sujet.
20. Je me rappelle très bien que la France a été condamnée en tant qu’État par le Conseil de l’Europe pour une pratique similaire des policiers contre un trafiquant de drogue, pendant une garde à vue. Je ne crois pas qu’il a été fait mention de viol alors, mais de torture. Il s’agit donc d’une pratique policière pas aussi rare, et donc totalement condamnable comme tel. Je ne comprends pas ce que l’on gagne, quant à condamnation de l’acte, si on appelle la torture viol. On perd néanmoins quelque chose d’essentiel : l’acte apparaît comme un geste isolé d’un policier, alors qu’il s’agit d’une pratique de la police.
21. Cf. l’entretien de Yassine Belattar, dans L’Obs, n° 2729, du 23 février au 1er mars 2017, pp. 50-52.
22. Je laisse ce cas à part, pour le traiter dans une prochaine synthèse, tant il est lié à des manœuvres électorales et des calculs politiciens nauséabonds.
23. Il y a un auteur qui soutient que c’est le seul moyen pour faire bouger les choses ; j’en doute au sens que j’ai indiqué au début, il faut aussi, et en même temps, une alternative fiable, la démocratie. Voir Antoine Buéno, No Vote ! Manifeste pour l’abstention, préface de Michel Onfray, paru en février 2017.
24. Les dimanches, 23 avril et 7 mai 2017, c’est le premier et le second tour des élections présidentielles. Les dimanches 11 et 18 juin 2017, c’est le premier et le second tour des élections législatives, pour l’élection de 577 députés. Un député par 125 000 habitants.
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