18/12/2018

élection présidentielle de 2017 en France, synthèse 1

Vers l’élection présidentielle de 2017 en France

Révolutions des titres et évolutions de la réalité

Interrogations : à quand la démocratie ?


Je commencerai par une très brève méditation. Comment se fait-il que les gens continuent à voter alors que la faillite de la politique instituée est aussi éclatante en ce moment même ? Hier encore, en mai 2012, il y a à peine cinq ans, le slogan de campagne et de la victoire de François Hollande a été : Le changement, c’est maintenant ! Comment se fait-il que l’on oublie aussi vite ? À ces questions, je n’ai pas de réponse. Cornelius Castoriadis nous invite même à ne pas nous demander ! Étant sûr que « au moyen et au travers de la formation (fabrication) de la matière première humaine en individu social », sont incorporés en ce dernier aussi bien les institutions elles-mêmes de la société que les « mécanismes » de leur perpétuation, il affirme : « Ne vous demandez pas : comment se fait-il que la plupart des gens, même s’ils avaient faim, ne voleraient pas ? Ne vous demandez même pas: comment se fait-il qu’ils continuent de voter pour tel ou tel parti, même après avoir été trompés de manière répétée ? »1 Et pourtant, il faut se demander. Car, le conditionnement, à savoir l’assujettissement à des conditions, et la co-détermination de l’individu par les institutions de la société et ses significations imaginaires, qu’évoque Castoriadis, ne sont ni aussi forts ni aussi marqués par le temps, dans le domaine politique, où on attend justement, et on demande précisément, la rupture de la perpétuation, le fameux « changement » ! Dans d’autres directions nous devons donc orienter notre réflexion.
    Quant à moi, cela fait 22 ans que j’ai écrit un texte à l’occasion de l’élection présidentielle de 1995, qui porte le long titre « Pour une abstention active aux prochaines élections présidentielles (institution avérée monarchique), inaugurale d’un projet politique original » et le sous-titre « Contre l’acte de vote pour élire une personne. Pour le droit à la décision après délibération et face à plusieurs propositions-solutions possibles ». Depuis, et même avant, je n’ai jamais douté un seul instant de la justesse de cette idée, je n’ai pas été tenté par l’idée d’aller voter, et je n’ai pas cessé de réfléchir sur le comportement de mes semblables, des gens en général et de mes ami(e)s les plus proches en particulier. Il est vrai qu’actuellement le mépris envers la politique instituée et sa dévalorisation aux yeux de la plupart des gens, sont reconnus explicitement, alors que ce n’était pas le cas auparavant. Il est vrai également que l’abstention augmente d’une élection à l’autre, quand il s’agit de toutes les élections, à l’exception néanmoins de l’élection du président de la République. La répétition, la perpétuation du même, est donc due, disons-le franchement, à l’absence d’une alternative fiable. Il se trouve que cette alternative n’est rien d’autre que la démocratie. Et cela nous amène à clore provisoirement notre méditation en songeant à la difficulté de la chose. C’est cet absurde « Au nom du peuple » que nous devons changer. En le transformant en « Les citoyens ont      décidé ... ». Le « Au nom du peuple » correspond au régime représentatif établi, le    « Les citoyens ont décidé ... » correspond à la démocratie.
    Si ce n’est pas la coercition et les sanctions, si ce n’est pas l’adhésion, le soutien, le consensus, la légitimité, la croyance, qui « imposent » le régime représentatif, c’est plutôt le manque d’imagination politique et l’absence de créativité collective qui « empêchent » l’émergence de la démocratie. Il faut surtout du courage, qui est une des vertus politiques principales, comme n’a cessé de le répéter Hannah Arendt2. Mon étonnement, sans déception néanmoins, est encore plus grand parce que, au fond, c’est le refus d’accepter la valeur et la faisabilité de la démocratie que je constate même chez mes ami(e)s les plus proches. L’égalité politique absolue de tous est acceptée depuis longtemps pour élire. Pourquoi refuse-t-on d’accepter la même égalité pour décider ? Les deux égalités sont de manière parfaitement égale justifiables et par là même également faisables, réalisables, applicables.


L’objectif de ma recherche : l’état de la société française

On l’aura compris, je suis athée : je ne crois pas à la politique instituée. Mon opinion (doxa) est simple : petit est l’impact de la politique instituée sur la situation générale de la société et la vie effective des gens.3
   ¿ De quel point de vue donc, suis-je un observateur engagé de cette politique, surtout pendant ses moments les plus importants ?
    La participation de millions de personnes à une élection, indique quelque chose – pas tout. Il y a de plus le débat qui précède les élections et l’ensemble de ce que l’on désigne par « campagne pré-électorale ».
    Le sujet continuel de ma recherche, c’est la situation de la société française. Je m’interroge, plus particulièrement et au plus près de l’actualité, sur les conséquences pour la société française des événements de 2015 et 2016, liés au totalitarisme théocratique islamique. Car je considère que ces événements sont principalement le fruit du sol social de la France d’aujourd’hui.4 Critère subjectif, sans doute. Je pense cependant que c’est un critère crucial si on veut réfléchir à ce qui tient ensemble une société et, en des termes plus simples, à ce que l’on appelle le « vivre ensemble ».
    On ne peut pas et on ne doit pas lire ces conséquences seulement à l’aune des résultats électoraux. Cependant, ces résultats indiquent quelques orientations générales de l’« opinion publique », quelques tendances, lourdes ou légères, qui se forment, ou qui sont en train de se former, dans la société. Bref, ils nous disent quelque chose de l’état des esprits de nos contemporains. 
    Je peux utiliser l’observation à l’œil nu, les analyses des autres ou les miennes, les débats quotidiens, tout ce que vous voulez, pour lire la réalité sociale actuelle. Même les dits faits divers nous enseignent beaucoup de choses sur la société, à condition de ne pas perdre le simple bon sens dans leur analyse, comme c’est trop souvent le cas dans l’air du temps des médias et des réseaux sociaux, air qui est devenu tempête destructrice du sens ; à titre d’exemple, les violences et les « viols » policiers dernièrement, qui ont fait grand bruit. (J’y reviendrai.) Cependant, les courants souterrains de la société ne sont pas visibles, difficilement analysables par conséquent.
    Reste que les élections sont un grand moment. Je ne dévalue nullement le choix des personnes d’aller voter, bien que je sois « abstentionniste » réitéré et convaincu, depuis plus de trente ans, et je lutte pour la démocratie – sans adjectif ! Modestement, je crois être un penseur politique du quotidien et, ardemment, citoyen démocratique 24 heures sur 24 et non pas une fois tous les 5 ans ! Je n’oublie absolument pas pourtant que, en ce qui concerne les élections, ce sont les chiffres absolus que nous devons lire et prendre attentivement en compte, beaucoup plus que les pourcentages qui sont devenus l’autre tempête du mensonge et des illusions. La formule journalistique et politicienne : « le peuple français a décidé ceci, le peuple français a dit cela », n’est pas la mienne. Et je récuse fortement cet esprit. Je ne me lasserai jamais de répéter que les sociétés sont devenues telles aujourd’hui – ou par ailleurs elles ont été toujours ainsi –, dans la pluralité humaine incontournable, qu’un courant politique, ou un courant de pensée, ne peut « représenter » pas plus qu’une partie minime de la population totale, et c’est bien ainsi dans un esprit démocratique, pluraliste, de compréhension et de lecture de la société. Par exemple, les 25 % d’un résultat électoral, en France actuellement, correspondent en chiffres absolus à 9 millions de suffrages exprimés, soit 20 % du corps électoral officiel, et seulement 14 % de la population totale.5 On peut prendre le « pouvoir » avec un tel pourcentage, mais comment peut-on prétendre qu’un tel résultat représente la société ?6 Encore moins qu’il lit sagement et élucide la réalité ? Et pourtant, c’est « Au nom du    peuple », nous dit-on.


Première synthèse, deux mois auparavant


Je préviens le lecteur exigeant que ce qui suit n’est pas un pronostic. Les pensées éparses et mal rangées qu’il va lire, constituent un effort d’éclaircissement d’une situation qui est confuse dans sa complexité et qui devient confuse tout court par les analyses existantes. Je présenterai mes points de vue qui divergent de ces analyses, en cherchant la spécificité de cette élection et en signalant la perte de bon sens qui caractérise souvent l’interprétation des faits. Enfin, je le dis, quand bien même cela semble évident, je parle en mon nom propre et sous ma propre responsabilité, car le « Au nom du peuple » appartient aux candidats et aux « représentants ».

La spécificité de cette élection et ses éléments
J’ai commencé à écrire ce texte le 21 février 2017. Bien qu’il soit destiné à être bref, après 19 jours, je ne l’ai pas encore fini. Mis à part les insuffisances de l’auteur, cela est dû à ce que tout le monde dit, c’est-à-dire que l’on est toujours dans une période d’imprécision et d’incertitude. Mais n’est-ce pas le cas pour toute élection ? D’autres disent, l’esprit léger ou pauvre et la mémoire courte, que l’on n’était jamais en France dans une élection présidentielle aussi imprécise, incertaine. Et alors, qu’en est-il de 1981 ? Des spécificités existent pour cette élection présidentielle, mais elles sont autres.
    Deux événements ont jusqu’à présent jalonné la voie vers l’élection présidentielle de 2017. Imprévisibles et inattendus aussi bien l’un que l’autre, ils pourraient laisser leurs traces sur la vie politique française pendant longtemps. Pour le meilleur et pour le pire. La perte de bon sens se présente néanmoins à presque tous les éléments qui préparent la phase finale de cette élection.
    La création ex nihilo d’un nouveau « mouvement politique »
   La spécificité la plus marquante de cette élection de 2017, du point de vue de la politique instituée, est la suivante : comme résultat d’un long processus7, mais aussi de la présence d’un seul homme, indépendamment de sa propre valeur et surtout de son évolution, forcement inconnue, la marche vers cette élection a fait éclater le système des partis dits de gouvernement, c’est-à-dire le parti Les Républicains de la droite traditionnelle républicaine et le Parti socialiste, principal parti de la gauche. Du coup, même la division traditionnelle droite-gauche est embrouillée, pour ne pas dire qu’elle est devenue insignifiante.
   Cet éclatement est devenu évident avant même les phases importantes de la campagne pré-électorale, par la création d’un nouveau « mouvement politique ». Celui-ci a été baptisé En Marche !, mais les lettres manuscrites de ce logo accompagnées par un nom Emmanuel Macron, de mêmes initiales, indiquent clairement qu’un homme a pris l’initiative et qu’il veut être le chef incontestable de ce « mouvement ». À son actif, on doit reconnaître le fait qu’il a vu le kairos, le moment opportun, de la faillite presque totale des partis et de l’obsolescence du clivage droite-gauche. Dès le premier jour de l’annonce de la fondation de son « mouvement », le 6 avril 2016, Macron a parlé aussi bien des partis classiques ou traditionnels qui ne peuvent plus répondre aux exigences de la réalité que du dépassement du clivage droite-gauche par cette même réalité. Ce fait rend caduques toutes les critiques, inspirées de la théorie du complot, adressées à Macron. Ou tout au moins les critiques qui parlent d’une organisation et d’une préparation où tout est au millimètre prévu par avance. Sans ces deux éléments, c’est-à-dire le constat opportun du vide que laissent l’impuissance et le mépris de tous les partis – constat qui est avéré juste a posteriori, constat donc risqué et pas assuré d’avance –, et le constat de l’obsolescence du clivage droite-gauche – par contre ce constat a été fait depuis longtemps par d’autres, sauf que personne n’a osé le mettre en application –, sans ces deux éléments, la démarche de Macron perd tout intérêt. Même s’il est soutenu par des grands ou des puissants, connus ou inconnus ou mystérieux, même s’il a pu profiter d’une aide financière importante, par qui que ce soit, même s’il a bénéficié d’une couverture médiatique exceptionnelle et disproportionnée8, tout cela ne pourrait avoir servi à rien sans le fondement de son initiative au bon moment sur le mépris des partis et l’obsolescence du clivage traditionnel droite-gauche9.
    On ne peut pas négliger non plus le fait incontestable que l’initiative de Macron ait rencontré dès le premier moment une adhésion considérable d’un large public notamment jeune. Cet élément factuel réfute davantage la thèse selon laquelle tout est affaire de médias dans l’ascension fulgurante du « mouvement » En Marche ! D’autant plus que les adhérents au « mouvement », jeunes surtout, ont réalisé dès mai 2016 une « Grande Marche » vers la société française pour recenser les pensées et les attentes de la population. On ne sait pas quelles sont exactement les structures du « mouvement », son mode de fonctionnement, si par exemple il est démocratique ou pas, mais on sait une position originale de son créateur : membres du « mouvement » peuvent être des adhérents d’autres partis politiques.10
    C’est le moment de le dire, le livre d’Emmanuel Macron, paru le 24 novembre 2016, porte pour titre Révolution, et un mot sépare la « Grande Marche » d’une autre marche ; le vocabulaire de Macron n’est ni avare ni peureux de mots révolutionnaires – sans substance?, cela est une autre discussion.
    J’aime comparer ce que j’ai vu venir et ce que je n’ai pas vu. Je mesure donc ... mon propre aveuglement. À l’occasion de la rédaction d’un texte exigeant, évoqué à la note 4, à l’horizon de l’élection présidentielle, j’ai vu venir la recomposition de la vie politique française. « Vie politique française » – vocabulaire conventionnel, bien entendu –, cela signifie les forces et les hommes politiques. Mais, je n’ai pas imaginé l’effondrement des deux partis classiques ou traditionnels de gouvernement.
    Le deuxième événement marquant c’est l’affaire Fillon, révélée après sa victoire aux primaires de la droite et du centre.
    Le non-sens de la victoire et de la candidature Fillon
   Sur ce que je cherche spécialement, c’est-à-dire les conséquences à court terme pour la société française des événements liés au totalitarisme théocratique islamique, j’ai cru que j’ai eu une première indication par la victoire de Fillon aux primaires de la droite et du centre : l’aile la plus droite de la droite, habillée en plus de la couleur religieuse du catholicisme – qui pourrait devenir majoritaire par le pervers système électoral seulement, bien entendu –, souhaite : une dure politique économique pour que le pays soit sauvé de la « faillite » (expression très ancienne de Fillon), une politique de pureté plutôt que conservatrice en matière de mœurs pour assurer son identité (enracinée selon Fillon dans un passé très lointain) et pour combattre ainsi durement et efficacement le totalitarisme islamique11. Bref, j’ai compris qu’une frange de la population, dont il restait de mesurer l’ampleur réelle aux élections proprement dites (pas aux primaires!), choisit l’affrontement en quelque sorte sur la question des djihadistes, le repli sur la dite identité nationale, et elle accepte une politique économique d’« austérité ». Il n’en est rien, car ce qui a été appelé Penelogate a tout « gâché », et on ne verra probablement pas le poids réel des idées de Fillon dans la société, ainsi que l’application de son programme intransigeant.
    De graves questions se posent néanmoins sur le sujet des emplois fictifs de l’épouse et des enfants de Fillon. Et notamment celle de la perte de bon sens, qui va avec la perte de sens tout court, la fameuse insignifiance, dans les sociétés occidentales contemporaines. Tout le monde a parlé des faits. Peu de personnes ont posé la question : à qui profite le « crime », autrement dit, qui avait intérêt à révéler cette affaire concernant Fillon ? Or, personne, à ma connaissance, n’a soulevé cette question simple : comment se fait-il que cette affaire n’a pas été révélée plus tôt ? Comment se fait-il que des journaux sérieux et des journalistes chevronnés parlaient, juste quelques jours avant la révélation du scandale, de l’intégrité incontestable de l’homme politique Fillon ? On doit même ajouter que presque tous les journalistes et les analystes reconnaissaient comme un élément décisif de la large victoire de Fillon aux primaires le fait qu’il était un homme politique de la droite qui n’a jamais été accusé de corruption et mis en examen, contrairement aux deux autres principaux prétendants, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy.12 De deux choses l’une, ou bien une partie ou la totalité de la classe politique et des journalistes, et même des juges, connaissaient ces faits et ils les cachaient soigneusement, ou bien ils sont incompétents. Dans tous les deux cas, des questions encore plus graves se posent.
    Il faut insister sur l’élément important suivant. Sauf fait du pur hasard, ce qui est improbable quand même dans les affaires de ce type, la personne – ou les personnes – qui a révélé les emplois fictifs organisés par Fillon, a choisi le temps de cette révélation. Probablement, parce que cette personne ne croyait pas à la victoire de Fillon aux primaires. Il s’agit donc d’une accusation ad hoc et ad hominem à la fois, et non pas d’une révélation inspirée par le respect des principes ; c’est contre un homme et pour servir une cause spécifique que l’on a fait ça et non pas pour défendre les principes. Car, si c’était pour le respect des principes, la personne aurait révélé les faits bien avant, ou tout le moins avant les primaires de la droite et du centre. Elle ne l’a pas fait. Donc, la révélation visait à rendre impossible l’élection de Fillon en tant que président de la République, en négligeant les conséquences que cela pourrait avoir pour cette élection et les institutions politiques en général. (Attention, je ne dis pas qu’il ne fallait pas faire la révélation, je m’interroge seulement sur ses motifs et ses visées vu le temps choisi.) Et pourquoi donc rendre impossible l’élection de Fillon comme président de la République ? En raison de son programme économique ? De sa détermination apparente ? Qui le dira ?
    La corruption des élus
  On saura les conséquences réelles de l’éclatement du système des partis de gouvernement à l’issue de cette consultation importante qu’est l’élection présidentielle, à l’issue des élections législatives du mois de juin, et dans l’avenir proche. On saura, en même temps, l’impact au plan électoral de la création du « mouvement politique » En Marche !, et le sort de son fondateur. On sait pourtant, dès à présent, que l’affaire Fillon, depuis sa révélation, a imposé comme presque unique sujet du débat la corruption des élus (« élites »). Deviendra-t-il, ce sujet, le principal objet de la campagne ? De toute façon, ce sujet a gâché la fête. Petites ont été pourtant, le dimanche 19 février 2017, les manifestations à Paris et en d’autres villes de France contre la corruption des élus. Dans « le renouvellement de la vie politique », visée hautement affichée par le « mouvement » En Marche !, dont la création constitue l’une des spécificités marquantes de cette élection présidentielle, a pénétré la corruption perpétuelle des élus, cette spécificité seconde, et la complexité de la chose devient plus grande. J’ose le dire, moi l’abstentionniste, si Macron l’emporte aux élections, et à condition que celui-ci soit non corrompu, comme il paraît pour le moment, la victoire sera double : contre le système archicorrompu des deux partis et contre le système archicorrompu des Le Pen. Si, par contre, la corruption aurait été aussi l’invitée de Macron et de son « mouvement », alors ce serait le Tartare pour les bénévoles, les jeunes surtout, de En Marche !
    Soulignons ce fait très important qui est passé presque inaperçu dans la tempête qu’a provoquée l’affaire Fillon. Marine Le Pen, et son parti par excellence « anti-système », avec les « mains propres » par opposition aux mains sales des autres partis, trempe dans la corruption aussi. Chose plus grave encore, les accusations contre Marine Le Pen concernent des faits beaucoup plus graves que les faits reprochés à Fillon et à sa femme. Et on a entendu des journalistes et des analystes politiques dire qu’ils commencent à comprendre que le Front national est un parti comme tous les autres, ce que j’ai écrit depuis au moins 1995. Et j’écrivais alors aussi pourquoi les autres partis ne peuvent pas et ne veulent pas voir et reconnaître cette simple vérité : car justement s’ils l’avaient fait, ils auraient reconnu automatiquement leur vrai caractère, comme des partis hautement antidémocratiques, dont la seule chose qui les distingue du FN c’est certaines idées rejetables. Pourtant, novembre 2015, Hollande a déjà fait sienne une idée du FN, la déchéance de nationalité, erreur qui lui a coûté sa propre déchéance.
    Fait davantage important, avec des conséquences incalculables : François Fillon a abandonné sa position initiale, selon laquelle il se retirerait de la compétition s’il était mis en examen, pour adopter la position suivante : seul le suffrage universel va résoudre le problème. Seul juge « le peuple », donc.13 Après cette prise de position, plusieurs voix dans son propre camp se sont élevées pour demander que Fillon démissionne de sa candidature. En vain. Fillon a revendiqué, encore une fois, sa légitimité provenant des primaires, mais ce qui a joué le rôle décisif c’est le fait que le parti des Républicains n’avait pas une solution alternative ou il ne voulait pas en trouver. En utilisant de surcroît une légitimité orchestrée provenant d’un piètre rassemblement à Paris, place du Trocadéro, le dimanche 5 mars, dans le contexte du danger d’implosion du parti des Républicains, Fillon a pourtant « gagné » et il sera candidat même en étant mis en examen. Son élection à la présidence de la République, peu probable néanmoins, ce sera la honte pour la société française tout entière.
    Le rassemblement du dimanche 5 mars 2017, à Paris, sur la place de Trocadéro, initialement se voulait « contre le coup d’Etat des juges », pour se transformer par la suite en un rassemblement de soutien à la candidature de François Fillon. Il est étonnant que l’actuel président de la République, François Hollande, qui a renoncé à être candidat à sa succession, selon la formule consacrée, une première pour la Ve République, est intervenu pour la première fois à la campagne pré-électorale, juste après l’annonce de ce rassemblement et a déclaré depuis la Corse où il était en visite : « J’appelle à la responsabilité. Ce n’est plus acceptable. Je déplore profondément cette mise en cause insupportable de la vie démocratique dans notre pays, cette interpellation par la rue de notre démocratie fondée sur la séparation des pouvoirs. » Je souligne les grands mensonges. Quant à l’expression « par la rue », là, Monsieur le président de la République – qui ne signifie nullement démocratie mais notre régime ! – dérape complètement, mais complètement. Qui a dit que le droit de manifester dans la rue, et même d’imposer par la rue, n’est pas une conquête franchement démocratique ?
     Le même président n’a rien dit pour la manifestation d’un autre dimanche, du 19 février 2017, qui avait le même sujet mais ... à l’inverse. Par ailleurs, plusieurs appels ont été diffusés pour une contre-manifestation contre la corruption des élus et « pour le respect du peuple, de la justice et de la presse », le même dimanche, 5 mars 2017, place de la République à Paris, parallèlement au rassemblement en soutien à François Fillon place du Trocadéro.14 La première édition de ce mouvement anticorruption, qui se revendique « citoyen, pacifique, déclaré non partisan, non récupéré par un parti ou une organisation, égalitaire et revendicatif », s’est tenue le 19 février. Il a ensuite décidé de se réunir tous les dimanches à 15h00. Ainsi, la « guerre civile » en France, que les spécialistes avertis de l’intégrisme islamique, tel un Kepel15, attribuaient comme objectif à l’État islamique et craignaient tant, aura lieu pour d’autres raisons, en caricature et comme farce, pour des raisons futiles partisanes des deux partis qui dominent la vie politique française depuis des lustres.

Conclusion, la société française semble plus désorientée que jamais. Cette même société a réussi cependant à casser les partis politiques qui dominaient la vie politique depuis plus d’un demi-siècle. Mais n’exagérons pas, la situation vire vite vers la normalité.


La normalité de cette élection et ses éléments
Revenons donc à la réalité prosaïque, à la normalité d’une élection présidentielle.
    Élections primaires
    Les deux partis dits de gouvernement, Les Républicains et le Parti socialiste, ont organisé des élections dites primaires pour désigner qui de leurs personnalités éminentes sera leur candidat à l’élection présidentielle.16 Pour le parti de la droite, c’était la première fois, pour les socialistes la cinquième (1995 Jospin, 2002 Jospin, 2007 Royal, 2012 Hollande, pour les élections présidentielles précédentes, en indiquant aussi le victorieux à chaque fois). Mais il y a eu nouveauté : les primaires pour l’élection présidentielle de 2017 ont été complètement ouvertes à tous les électeurs inscrits sur les listes électorales. Ce qui dit l’impuissance de ces partis à régler de l’intérieur les « querelles de clans ».
   Antidémocratiques et sans substance, ces primaires se sont également avérées complètement trompeuses. Il s’agissait réellement d’un règlement de comptes entre cliques des deux partis qui s’alternent au gouvernement de 1958 à aujourd’hui. Pourquoi ? Un parti c’est un parti, il a un programme, certains disent une idéologie aussi. Un candidat aux élections présidentielles qui provient donc d’un parti, doit avoir et présenter un programme particulier, mais dans le cadre du programme général du parti. On n’a pas vu cela aux primaires. On a vu exactement le contraire, dans les deux cas. Puis, la définition floue, comme ce n’est pas possible, du corps électoral : une signature et 2 euros pour la droite, une signature à 1 euro, pour le Parti socialiste ! Le résultat ? Là on a tout et on a tout vu.17
    Les programmes des candidats
  En ce qui concerne les programmes, on doit tout d’abord dire que la critique adressée à Emmanuel Macron, suivant laquelle ce dernier n’aurait pas de programme, n’a pas de raison d’être. L’atavisme des gens est parfois surprenant, phénoménal. Un a dit : « Macron n’a pas de programme », tous répètent la même chose ! Le concerné a répondu lui-même : « J’ai un projet. » Oui, c’est ça plutôt l’élection présidentielle en France. Mais il y a un autre point aussi important sinon plus : qui a respecté son programme parmi tous ceux qui ont été élus présidents de la République française ? Entre temps, Macron a « enfin » révélé son programme millimétré. Rien à dire sur cette affaire désormais. On constate que le projet devient énumération banale des mesurettes, ce qui est fatalement un programme pré-électoral. La séduction par la nouveauté de la démarche perd quelque chose de son charme.
    Une idée « neuve » a été la proposition de Benoît Hamon pour le revenu universel. Mais, la majorité de son parti est contre cette proposition ! Voilà encore un paradoxe des primaires.18 À part d’autres considérations au plan de la substance et de la faisabilité de cette proposition, qui existe dans le débat public en France19 depuis au moins une vingtaine d’années, la seule solution envers le dit chômage, qui est en fait manque de travail et refus de travailler sous n’importe quelles conditions, c’est à mon sens le partage de travail. La question n’est pas « société du travail » (Valls et Macron) contre « raréfaction du travail » (Hamon), la question est ce que l’on veut faire avec le travail. Et on doit discuter : la finalité ou les finalités principales de la société, la valeur et la place du travail dans la vie réelle des gens, le contenu du travail, la démocratie dans les lieux du travail. On travaille pour consommer, et il faut donc un revenu universel pour soutenir le fameux pouvoir d’achat, ou on travaille pour une vie libre et autonome pleine de sens, d’amitiés, d’éros, de culture, d’action, d’esprit écologique, même si elle est frugale ?
    La réforme constitutionnelle vers la VIe République, première proposition du programme de Jean-Luc Mélenchon, ne passe pas non plus comme sujet d’un vrai débat. Un problème politique par excellence, la question du régime politique, ne fait partie des préoccupations principales ni des politiciens ni des « citoyens ». Il faut revenir sans cesse sur ce sujet, mais j’exprime dès maintenant mes doutes sur la démocraticité des propositions de tous les candidats qui proposent l’instauration d’une VIe République.
    Le débat public
  On ne sait pas quels sont les sujets qui prédominent et surtout s’ils sont en correspondance avec la réalité, la situation effective du pays, et les attentes des gens, qui sont des votants, même pas électeurs. Citoyens ? Ils ne le sont pas encore ! Vont-ils le devenir ? Quand ? Comment ?
    Le débat est foutu, tout au moins jusqu’à présent. On en sait la cause. Mais, c’est une cause ou un « prétexte » ? La cause immédiate, pour ainsi dire, c’est la découverte d’un scandale. Mais, au fond, se trouve l’état de la politique instituée dont fait partie inexorable le parti politique du candidat Fillon. Pourtant, même si le grand cafouillage du débat est venu de l’affaire Fillon, et de la politique instituée, la société n’a pas pu réagir efficacement pour renverser cette situation.
    Pour finir cette modeste synthèse, je voudrais néanmoins mentionner une autre affaire où la perte de bon sens apparaît aussi. Cette affaire vient de la réalité triste et insupportable du terrain. Il a été appelé viol, la violence inouïe et inacceptable de l’enfoncement dans le cul d’un jeune homme des banlieues d’une matraque par un jeune policier.20 Le viol présuppose quand même le plaisir d’organe du violeur – bien que l’homme, l’être humain, a transformé, altéré, le plaisir d’organe en plaisir de représentation. Pour le policier qui a commis cet acte abominable, on peut dire qu’il a voulu humilier à outrance le jeune homme, faire en acte ce que disent les paroles : « Je te nique », mais on ne peut parler de plaisir sexuel, sauf sado. Cette affaire est un bon exemple de désorientation du débat : au fond, il y a la situation des banlieues aucun doute là- dessus21. Discutons donc cette situation.
    Ce que j’ai appelé la tempête du temps médiatique et réseau-social (des réseaux sociaux) donne le résultat suivant : un fait divers monte en un instant, il y a un héros et un anti-héros ou un contre-héros, et puis, à l’instant suivant, rien ! La même tempête peut cacher d’autres faits importants, l’affaire Fillon a mis au deuxième plan l’affaire Marine Le Pen et a complètement éclipsé le truquage de participation au premier tour des primaires du Parti socialiste.
    Les sondages ou les enquêtes électorales
   Des points de vue du débat public et des primaires, on a tous les éléments pour juger, et constater une situation plutôt irrémédiable et irréversible. Du point de vue des pronostics (sondages pris en compte, mais pas seulement), on sait quelles possibilités s’offrent. Avec difficulté on pourrait dire que sauf les couples Le Pen-Macron ou Le Pen-Fillon, un autre couple pourra accéder au second tour. Tout est possible, nous disent-ils, et les sondages se trompent. Oui, mais l’essentiel de la vie politique française est là. On ne peut pas dire que le candidat socialiste sera au second tour, bien que l’on puisse pas exclure complètement le cas d’une candidature unique de la gauche.22
    Ce qui me tétanise de plus, c’est la phrase suivante, journalistique puis politicienne puis très populaire : « On a gagné parce qu’on a pris tant (par exemple 5 %), alors que les sondages nous donnaient tant (par exemple 4 %). » Ou: « Dans la surprise générale, notre candidat l’a emporté malgré les sondages. » Aussi bien la base que le critère de la « surprise » sont encore les sondages. Les raisons et les causes du résultat sont abandonnées, jetées aux orties. Les sondages en politique sont devenus une façon de raisonner et de penser. C’est ça qui est grave, beaucoup plus que les considérations sur la justesse ou non des pronostics.
    Nouveaux éléments marquants ou en évolution
  Depuis que j’ai commencé à rédiger cette première synthèse, il y a 20 jours, beaucoup de nouveaux éléments se sont ajoutés sur le chemin vers l’élection présidentielle. Je me limiterai à signaler les plus marquants et ceux qui sont en évolution. Je commencerai à rédiger une deuxième synthèse le 21 mars, jour qui fixera définitivement les candidats.
    a) L’alliance de Macron avec François Bayrou. On doit évoquer que le point le plus important de cette alliance est le projet de « moralisation de la vie politique ». Quel est le contenu de l’alliance en matière de députés et surtout de composition du prochain gouvernement ? On l’ignore. Macron a déclaré à la radio RMC que Bayrou lui-même a dit qu’il ne veut pas être son Premier ministre. Reconnaissons néanmoins que, par cette « alliance » avec un leader honnête – on sait jamais – mais traditionnel, Macron a perdu un peu le blason, le charme, de la nouveauté, bien qu’il reste cohérent avec sa position d’avoir en tant que membres de En Marche !, des adhérents d’autres partis. b) Le ralliement du candidat écologiste, Yannick Jadot, à Hamon. Tous les analystes remarquent l’effacement de Hamon en raison des négociations. Hamon a perdu, semble-t-il, des points au lieu d’en gagner. c) La procédure judiciaire concernant Fillon, mais aussi Marine Le Pen et son parti. Fillon se présentera le 15 mars devant les juges et il sera peut-être mis en examen. Marine Le Pen refuse de se présenter. Affaires à suivre. d) L’éventualité d’une candidature unique de la gauche. Cette candidature paraît impossible – sauf pour le Parti communiste qui diffuse par un tract un appel à l’unité, qui cache difficilement des manœuvres électorales. L’impossibilité provient du fait que l’enjeu capital c’est le bilan du gouvernement sortant. e) Les incidents pendant les réunions des candidats. Ils se généralisent en quelque sorte ; après les protestations contre Fillon, il y a eu des protestations pendant les meetings de Macron et de Marine Le Pen. Ce n’est pas un élément qui aide à la démocratisation du débat public et à sa qualité.
    Ajoutons l’appel d’insoupçonnable Daniel Cohn-Bendit en faveur de Macron, ou plutôt sa déclaration qu’il votera Macron pour des raisons pragmatiques. Entre temps, des hommes politiques de tout horizon ont déclaré leur soutien à Macron.
    Je dois parler de l’abstention. Sur les 45 millions d’inscrits aux listes électorales, voteront tout au plus 33 millions. Ne voteront pas 12 millions d’inscrits auxquels on doit ajouter les 5 millions de non-inscrits. En somme 17 millions. C’est beaucoup.23 Et les pourcentages ne disent rien, rien ne résout cette question de démocraticité du régime politique établi, qui reste une oligarchie élective, constitutionnelle.
   Enfin, l’élément qui doit désormais attirer notre attention, c’est les élections législatives qui décideront de la majorité à l’Assemblée nationale.24


Retour à ma question du début : l’état de la société française


La réponse ne peut être que provisoire, et peut-être à jamais dans les ta tôn anthrôpôn pragmata (les affaires humaines, de Platon).
    La société préfère orienter le débat sur les terres classiques de la politique instituée, malgré les déclarations de Macron, terres des partis que lui-même a appelés « classiques » et « traditionnels ». Macron, qui a le mérite de contribuer à la cassure de ces partis de gouvernement, est ainsi le récupérateur de ceux qui n’avaient pas avant lui pour qui voter. Si on s’interroge sur mon sujet de prédilection, à savoir l’évolution de la décomposition de la chaîne religion- famille-éducation-travail, tous les candidats ne proposent que des mesurettes. Sur le travail, sujet capital dont dépendent en partie tous les autres chaînons de la chaîne bien reliée, Macron c’est aussi celui qui veut sauver la valeur « travail ». Peut-être, il arrivera à diminuer un peu le chômage, mais il ne pourra d’aucune manière résoudre le grand problème de la perte de sens du travail et de la place du travail dans la société, moins encore dans la vie réelle des gens. Par là même, ni lui ni la politique instituée n’arriveront à mettre en cause le productivisme et l’une des poussées principales de la société moderne, à savoir la croissance pour la croissance.
    Le changement donc que cette élection présidentielle apportera, si un changement survient, sera limité seulement au niveau de la politique instituée. Pas de « révolution » pour l’instant, malgré les titres des livres et des journaux.
    Je pourrais tirer néanmoins un élément qui provient d’autres de mes observations et qui illustre peut-être une tendance historique : la société, à l’heure actuelle, ne veut pas les affrontements durs. Elle préfère le calme et l’insouciance. Elle ne se passionne pas pour la chose publique, elle est devenue athée en politique instituée, sans horizon pour autant.
  Un climat de compromis, d’hypocrisie, d’évitement, de demi-mesures, de résignation, un climat de platitude. Même l’élection de Marine Le Pen paraît s’inscrire dans le courant des choses, comme quelque chose de normal, aussi contradictoire que cela puisse paraître. Et chose beaucoup plus étonnante, cette logique se présente dans des milieux de gens de la gauche ! Malgré tout cela, la défaite de Marine Le Pen paraît la chose la plus probable.
    Comme je l’ai déjà dit, on a vu un journal, des plus sérieux, Le Monde, annoncer la large victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du centre avec à la une le titre La révolution conservatrice. Le livre d’Emmanuel Macron porte aussi le titre Révolution. Où est la révolution dans tout cela ? On l’a déjà dit : perte de bon sens et de sens tout court. Le sens de la démocratie reste intact.

                                                                                                                nicos iliopoulos

Paris, 21 février - 12 mars 2017


Notes 


1. Domaines de l’homme, p. 224. Dans l’édition en collection de poche, p. 278.

2. Voir Condition de l’homme moderne, pp. 244-245, La crise de la culture, p. 202-203 et pp. 315-317, Penser l’événement, p. 188 et p. 190.

3. Je viens d’apprendre que, selon un sondage, seulement 46 % des personnes interrogées estiment que le vote aux élections est le meilleur moyen de se faire entendre. Voir Stéphane Dupont, « Les Français réclament un fort renouvellement des pratiques politiques », Les Échos, 18 janvier 2016.

4. Voir mon essai Qui nous sommes et où nous allons.
5. Ces calculs optimistes sont sommaires, mais nullement fictifs. En effet, je prends comme base le corps électoral officiel actuel, c’est-à-dire les inscrits sur les listes électorales (45 millions), je présuppose de la façon la plus optimiste une abstention de seulement 20 %, je supprime les votes blancs et nuls comme c’est encore le cas dans la politique instituée, et je considère avec l’INSEE que la population totale de la France aujourd’hui est de 67 millions. J’ajoute pour la gloire de la « démocratie » qu’environ 5 millions de Français ne sont pas inscrits sur les listes électorales ou croient ne pas l’être. Je laisse une critique des sondages pour plus tard.
6. Un homme assez politisé quand même, Daniel Cohn-Bendit, a déclaré tout récemment : « Je ne vote pas idéologiquement, je vote pour la personne la mieux placée et la faire gagner à 70 % - 30 %, je vote contre Marine Le Pen ». Un vote contre « une personne » donc, non pas un vote contre la réalité et pour le changement, mais contre Marine Le Pen. En effet, un vote pragmatique.


7. En ce qui concerne ce long processus, je voudrais évoquer deux faits importants à mon avis. Déjà en 1990, un penseur politique parlait de l’« électroencéphalogramme plat » de tous les partis politiques en France, « terre classique de la politique » d’après Marx. Figures du pensable, p. 161. Le même penseur disait en 1992 : « Encore qu’il ne faille pas non plus sous-estimer le rôle de certaines manœuvres électorales politiciennes du président Mitterrand pour faire perdre des voix à la droite traditionnelle ; grâce auxquelles les socialistes, à mon avis, vont se retrouver un de ces jours derrière Le Pen aux élections... ». Une société à la dérive, p. 128. Ce penseur est donc Cornelius Castoriadis. Sa prévision a été réalisée dix ans plus tard, en 2002 ! On verra quelle amplification prendra, dans cette élection, la distance entre Marine Le Pen et le candidat officiel du Parti socialiste Benoît Hamon.

8. Voir, entre autres, Thomas Guénolé, « La bulle Macron, un matraquage publicitaire massif », sur internet.

9. Macron n’a pas cependant évité l’esprit bipolaire de la vie politique traditionnelle, et propose un autre clivage, non moins insensé, entre les conservateurs et les progressistes.

10. Le nom officiel du « mouvement » En Marche ! est Association pour le renouvellement de la vie politique ; celui-ci a donc la forme et les statuts d’une association et revendique actuellement 200 000 adhérents, ce qui est phénoménal.

11. Vaincre le totalitarisme islamique, est le titre du dernier livre de Fillon, qui a joué un rôle important dans son succès.

12. Moi-même, j’ai écrit, dans un mail envoyé aux ami(e)s en Grèce, que l’intégrité de François Fillon est un élément qui a contribué à sa victoire aux primaires. J’ai des excuses. Je l’ai dit mille fois, la critique que j’adresse à la politique instituée, aux partis et aux hommes politiques, aussi exagérée qu’elle paraisse, est le plus souvent loin derrière de la réalité effective par rapport à la gravité des faits réels.
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13. C’est-à-dire le 20 % des suffrages exprimés que Fillon va éventuellement obtenir au premier tour, soit 15 % à peu près du corps électoral, et 10 % des inscrits. Et même si, contre toute attente, il passe au second tour, il est certain qu’il sera élu président de la République sans obtenir la majorité absolue du corps électoral.
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14. Depuis que je vis à Paris (1986), et j’ai abandonné pour ainsi dire l’activité « politique » de militant, j’ai choisi de voir de mes propres yeux toutes les manifestations importantes. Le sujet de ma recherche sur la participation et l’apathie politiques imposait ce choix, car ma longue expérience du militantisme m’incitait à penser que les chiffres des manifestants ont toujours été multipliés par 10. Je suis allé donc voir le rassemblement de Fillon. Je donne le chiffre de 10 000. Quant à la manifestation place de la République, ce n’est pas même la peine d’en parler. Elle était insignifiante, en chiffres et en paroles.

15. Voir mon essai cité dans la note 4.

16. Primaires de la droite et du centre ont été appelées les premières, primaires de « La belle alliance populaire », les secondes ; même les titres de ces primaires ont été truqués !
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17. Entre autres, on a vu un journal, des plus sérieux, Le Monde, annoncer la large victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du centre avec à la une le titre suivant : La révolution conservatrice. Mais on a vu aussi le Parti socialiste truquer la participation au premier tour de la primaire qu’il organisait pour démontrer que lui aussi attire des foules.

18. Inutile de dire que le paradoxe aboutit à la chose la plus logique : Hamon a corrigé jusqu’à présent deux fois sa proposition initiale.

19. En d’autres pays aussi ; tout récemment, même un référendum a été organisé en Suisse sur ce sujet.
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20. Je me rappelle très bien que la France a été condamnée en tant qu’État par le Conseil de l’Europe pour une pratique similaire des policiers contre un trafiquant de drogue, pendant une garde à vue. Je ne crois pas qu’il a été fait mention de viol alors, mais de torture. Il s’agit donc d’une pratique policière pas aussi rare, et donc totalement condamnable comme tel. Je ne comprends pas ce que l’on gagne, quant à condamnation de l’acte, si on appelle la torture viol. On perd néanmoins quelque chose d’essentiel : l’acte apparaît comme un geste isolé d’un policier, alors qu’il s’agit d’une pratique de la police.
21. Cf. l’entretien de Yassine Belattar, dans L’Obs, n° 2729, du 23 février au 1er mars 2017, pp. 50-52.
22. Je laisse ce cas à part, pour le traiter dans une prochaine synthèse, tant il est lié à des manœuvres électorales et des calculs politiciens nauséabonds.
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23. Il y a un auteur qui soutient que c’est le seul moyen pour faire bouger les choses ; j’en doute au sens que j’ai indiqué au début, il faut aussi, et en même temps, une alternative fiable, la démocratie. Voir Antoine Buéno, No Vote ! Manifeste pour l’abstention, préface de Michel Onfray, paru en février 2017.

24. Les dimanches, 23 avril et 7 mai 2017, c’est le premier et le second tour des élections présidentielles. Les dimanches 11 et 18 juin 2017, c’est le premier et le second tour des élections législatives, pour l’élection de 577 députés. Un député par 125 000 habitants.

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