La vulnérabilité de l’homme
Je vais tout de suite et tout droit à l’essentiel.
Nous nous croyons tout-puissants, alors que nous sommes ignorants, quant à l’essentiel, et surtout extrêmement vulnérables.
Est-il propre à l’homme d’avoir cette volonté de toute-puissance ? Je ne sais pas. Ce n’est pas pourtant la caractéristique de toutes les époques de son existence sur terre. Il y a des œuvres extraordinaires de la création humaine qui n’ont pas été inspirées par cette volonté.
L’idée de possession et de domination de la nature apparaît, en fait, assez vite. Cette idée : devenir maîtres et possesseurs de la nature, constitue peut-être le phantasme programmatique de l’époque qui a été appelée moderne. Comme cette époque est à la fois extrêmement critique, des critiques de cette illusion sont rapidement apparues.
La particularité des temps modernes est la suivante : ce n’est pas tant que l’idée a été affirmée – ou critiquée, c’est surtout que cette idée a été mise en œuvre. Dans le langage courant, l’idée s’appelle croissance illimitée des forces productives et maîtrise de tout par le progrès infini de la science et de la technique. Au fond de tout, l’adoration de la techno-science, nouvelle « religion », qui pourrait résoudre tous les problèmes humains, nous sauver de tous les maux, et par la croissance économique illimitée nous conduire au paradis sur terre.
Nous y sommes toujours, et plus que jamais aujourd’hui.
Aujourd’hui ?! Confinés dans nos espaces privés en raison d’une épidémie redoutable, privés de nos libertés les plus précieuses, à juste titre d’ailleurs, la pensée qui émerge presque spontanément du fond de nous-mêmes, ne pourrait être autre que la suivante. Combien est grande la vulnérabilité de l’homme et des hommes ! Combien est fragile l’humanité tout entière !
L’avènement d’un virus, l’épidémie qu’il a provoquée et l’événement du confinement nous invitent à regarder notre condition humaine en face. Nous sommes et nous serons à jamais vulnérables, nous les mortels. Les affaires humaines sont pour toujours caractérisées par la fragilité. L’humanité tout entière a devant elle une possibilité de comprendre enfin ces vérités. Et bien évidemment la possibilité et la nécessité de changer son organisation actuelle. Les vulnérables humains ont la possibilité de changer leur vie quotidienne.
nicos iliopoulos
Paris, 21 mars 2020
L’humanité de l’homme
ou
À la recherche de l’humanité perdue de l’homme
Il n’est pas vrai que Dieu a créé le monde et l’homme. C’est l’homme qui a créé Dieu. L’homme a créé Dieu à son image et à sa ressemblance, fantasmées. Il a voulu être un dieu tout-puissant, omniprésent, omniscient, et … tout-bon. Et l’homme a ainsi perdu son humanité.
Le moment approche peut-être où l’homme comprendra que sa toute-puissance, uniquement technoscientifique, est en train de détruire la nature ; son omniprésence n’est que virtuelle ; son omniscience est impossible et sa bonté n’est que fictive. Aucun vivant sur cette terre n’a fait à l’homme plus mal que l’homme. Et pourtant, c’est cet homme qui, sans être un dieu, a créé des œuvres magnifiques et sublimes. C’est à partir de la riche tradition de la création de ces œuvres que commencera la recherche de l’humanité perdue de l’homme.
Dieu est mort. Les prophéties et les prophètes ne pourraient plus donner un sens à la vie – et à la mort – de l’homme mortel. Les religions en -isme, le judaïsme, le christianisme, l’islamisme, font beaucoup plus de mal que de bien. Les idéologies en -isme, le libéralisme et le marxisme, ont abouti à des sociétés inhumaines. Car elles aussi ont prétendu savoir maîtriser non seulement la nature mais l’histoire et la société.
Nous n’avons plus besoin de prophètes ni de prophéties. Nous avons besoin d’un homme ré-humanisé et d’hommes revenus sur terre ! Nous approchons des limites où l’hybris (outrance orgueilleuse) deviendra némésis (vengeance et punition).
Nous avons besoin d’une autre humanité de l’homme. Nous ne voulons plus un homme-dieu mesure de toutes choses*, mais un homme à la mesure de son humanité. Nous ne voulons plus un homme maître et possesseur de la nature ni un homme qui se croit dominateur de l’histoire et de la société. Nous voulons un homme ami de la nature, ami de l’amitié et amant de l’éros.
Nous avons besoin d’un homme humble et dans l’éthos de sa mortalité. Cet homme par sa créativité pourrait ἀθανατίζειν (éterniser) en tant qu’espèce ses œuvres du passé, ses œuvres du présent et ses créations à venir. Parmi ces créations, la philosophie, la politique et la démocratie ; la beauté, la philia et l’éros. Et autres encore que nous ne savons pas aujourd’hui ou que nous imaginons et nous envisageons.
nicos iliopoulos
Paris, 4 avril 2020
* Une seule note. « L’homme est la mesure de toutes choses », c’est un mot de Protagoras. À cette phrase, Platon a changé un seul mot : « Le dieu est la mesure de toutes choses ». Indépendamment de l’interprétation de ces deux affirmations, ce qui nous importe ici, c’est de constater que les mots homme et dieu y sont interchangeables ! Y a-t-il eu, dans une certaine philosophie, ou dans la pensée humaine en général, la conscience de cette « interchangeabilité » ?
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